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Télégrammes

Pour combler le déficit en ressources humaines dans le secteur de la santé, en particulier dans les zones rurales, le Maroc mise sur le recrutement de médecins étrangers et l’augmentation des effectifs nationaux. Un budget de 3 MMDH est mobilisé pour renforcer la formation et moderniser les infrastructures. Objectif : atteindre 45 professionnels de santé pour 10.000 citoyens d’ici à 2030. Le ministre de la Santé alerte sur la faible attractivité du secteur public et la forte concurrence internationale. En réponse, des mesures stratégiques sont engagées pour élargir la couverture sanitaire et renforcer l’offre publique de soins. Actuellement, il y a environ 28.000 médecins au Maroc, la moitié d’entre eux travaillant dans le secteur public et l’autre moitié dans le secteur privé; Plus de 14.000 médecins exercent leur profession à l’étranger (dont 7000 en France), alors que le besoin en professionnels de la santé devient de plus en plus pressant, atteignant un déficit de 34.000 médecins.

mercredi 30 avril 2025

HAYTHAM MANNA
L’Étaticule joulanesque* ou les sécrétions putrides du totalitarisme djihadiste

 *traduction de l’expression Douila al-Joulani, littéralement le micro-État d’Al Joulani

Haytham Manna , 28/4/2025

دويلة الجولاني: أو الإفرازات الرثة للشمولية الجهادي Original :

English Español

Traduit par Tlaxcala

Haytham Manna (Oum El Mayadhine, Daraa, 1951), médecin et anthropologue, est un militant historique de la cause des peuples et des droits humains. Directeur de l’Institut Scandinave pour les Droits de l’Homme/Fondation Haytham Manna à Genève et président du Mouvement international pour les droits de l’homme et des peuples (IMHPR), il est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages. Ci-dessous un extrait du livre « Manifeste contre le fascisme djihadiste », à paraître prochainement.

 

Dans leur essai intitulé « L’État-nation moderne : entre islamisme et laïcité|», Asia Al-Muhtar et Adnan Harawi nous offrent une synthèse claire et concise du concept d’État-nation moderne en affirmant :

« Les systèmes législatifs de l’État-nation moderne se caractérisent par une indépendance complète à l’égard de toute idéologie, quel que soit son type. Si l’État laïc vise à séparer la structure politique de l’appareil religieux, alors l’État-nation moderne est un État indépendant qui ne s’appuie sur aucune source de législation en dehors de la volonté populaire. En tant qu’entité neutre à l’égard des religions, des sectes, des idéologies, des individus et des classes, cet État cherche à éviter d’adopter toute idéologie qui pourrait affecter son entité et son existence, et en faire un État exclusif qui sert un groupe spécifique au détriment d’un autre. Ce « service exclusif » que l’État cherchera à fournir est basé sur des principes qui entrent en conflit avec les principes d’égalité citoyenne et est réalisé sur la base d’une référence religieuse, idéologique ou doctrinale spécifique ». 

 En réalité, l’État-nation moderne repose sur trois principes fondamentaux : le premier est l’égalité des citoyens, le deuxième est la primauté du droit et le troisième est la légitimité du peuple.

Ce n’est pas ici le lieu de parler de la naissance et de la construction de « l’État-nation moderne », auquel nous avons consacré un livre et des articles [2], mais il est nécessaire de rappeler sans cesse que cette naissance est le fruit d’un long processus historique qui a permis à l’Europe, par exemple, de sortir de ses guerres sectaires et religieuses, qui ont coûté à la seule Allemagne, pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648), la vie de plus de sept millions d’habitants. En Méditerranée orientale, l’Empire ottoman n’est sorti de l’histoire et de la géographie qu’après avoir écrit ses dernières pages avec le génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens en 1916-1918, et la défaite lors de la Première Guerre mondiale et la signature par le sultan Mehmet VI du traité de Sèvres (1920), qui a laissé au califat, à la fin de son existence, 380 000 km² sur les 1 780 000 km² qu’il comptait avant la guerre.

En Égypte, la révolution de 1919 a marqué un tournant important dans la lutte pour la libération nationale du joug colonial britannique, vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. À Damas, l’indépendance du Royaume arabe syrien a été proclamée le 8 mars 1920 par une assemblée législative constituante connue sous le nom de « Conférence syrienne générale », qui a adopté le «Statut fondamental» qui prévoyait une monarchie constitutionnelle civile, une administration décentralisée, la garantie des libertés politiques et économiques, les droits des communautés religieuses, l’égalité entre les citoyens et la tenue d’élections libres au Conseil des représentants au scrutin secret en deux tours (article 73). Les élections étaient libres et le gouvernement n’avait pas le droit d’y intervenir ou de s’y opposer (article 77).

Le colonisateur français ne pouvait tolérer l’idée de l’indépendance, et ses forces entrèrent en Syrie. Trois jours après la bataille de Maysaloun, les forces d’occupation occupèrent Damas, exilèrent le roi Faiçal et dessolèrent le royaume le 28 juillet 2020.


Emad Hajjaj

Après la chute tragique et grotesque du califat ottoman, personne ne pouvait plus parler de califat ou d’État islamique selon la logique sultanale héréditaire et médiévale. Dans plusieurs pays musulmans, des organisations politiques et sociales ont vu le jour, appelant à la construction d’un État islamique. Si Hassan al-Banna est le plus célèbre dans le monde arabophone, Abu al-Ala al-Mawdudi occupait le devant de la scène dans le monde islamique. Abou al-Alaa était un observateur attentif et un fin connaisseur des caractéristiques de l’époque que vivaient les musulmans dans la péninsule indienne, mais aussi de la montée des courants idéologiques totalitaires à l’échelle mondiale, le stalinisme à l’Est, le nazisme et le fascisme à l’Ouest. On retrouve clairement l’empreinte de ces courants dans la définition que donne al-Mawdudi de l’État islamique :

- « L’État islamique est un État dirigé par un parti particulier qui croit en une doctrine particulière. Quiconque accepte l’islam peut devenir membre du parti qui a été fondé pour diriger cet État, et ceux qui ne l’acceptent pas ne sont pas autorisés à intervenir dans les affaires de l’État et peuvent vivre à l’intérieur des frontières de l’État en tant que dhimmis. »

- « L’État islamique est un État totalitaire qui régit tous les aspects de la vie. » (Al-Mawdudi écrit cela en anglais, en plus de l’ourdou et de l’arabe).

- « Dieu a doté l’homme de ces limites, d’un système indépendant et d’une constitution universelle qui n’admet aucun changement ni modification... Si vous le souhaitez, vous pouvez vous y soustraire et déclarer la guerre comme l’ont fait la Turquie et l’Iran, mais vous ne pouvez y apporter la moindre modification, car il s’agit d’une constitution divine éternelle qui ne peut être ni changée ni modifiée ».[3]

Nous voyons dans ces trois points l’arbre généalogique commun aux Frères musulmans, aux khomeynistes, aux salafistes djihadistes, aux srouristes (partisans du Cheikh Srour de la région de Daraa) et au Hizb ut-Tahrir (Parti de la libération), car les principes énoncés par Mawdudi s’y retrouvent tous, avec quelques différences d’expression littéraire ou quelques phrases non contestées. Si la première mouture de la Confrérie des Frères musulmans en Égypte et le modèle syrien du Dr Mustafa al-Sibai n’ont pas adhéré à la logique du « parti sacré », ou ce que Khomeini appelle dans son livre « Le gouvernement islamique » : « la bande sacrée », il a fallu attendre Sayyid Qutb pour voir apparaître une identification plus claire entre ces composantes.

L’essor de la « religion publique » et la chute des idéologies contemporaines ont eu un impact considérable sur la montée, l’extrémisme et la radicalisation des mouvements politiques islamiques. La fabrication de l’ennemi a joué un rôle essentiel dans l’introduction du takfir (définition des frontières entre le croyant et le mécréant, entre la société païenne et la société islamique), la prohibition (regroupant dans une même catégorie tout ce qui est interdit, prohibé et répréhensible) et la destruction (considérant le djihad ou la violence sacrée comme le seul moyen d’instaurer le règne de Dieu sur terre). Comme le dit Yassin al-Haj Saleh : « En Afghanistan, l’ennemi était l’Union soviétique, puis les USA ; en Irak, ce sont les Américains et leurs alliés des organisations chiites ; en Syrie, l’ennemi était essentiellement la révolution »[4].

Au stade du Caire, le 15 juin 2013, le président égyptien Mohamed Morsi était présent en personne pour annoncer les résultats de la première réunion élargie entre les « savants » salafistes, les « savants » des Frères musulmans et les dirigeants de l’Union mondiale des oulémas musulmans, au cours de laquelle il a été décidé, à l’unanimité, de déclarer le jihad en Syrie. Pour annoncer les résultats de cette réunion et proclamer sa décision, les participants ont désigné le cheikh égyptien Mohamed Hassan :

« La terre pure d’Égypte a accueilli une conférence à laquelle ont participé près de 500 savants, appartenant à plus de 70 organismes, organisations et associations. Ces savants ont émis une fatwa et ont convenu que le jihad est un devoir de la vie, de la fortune et des armes, chacun selon ses moyens. Le jihad pour défendre le sang et l’honneur est désormais un devoir individuel pour le peuple syrien et un devoir collectif pour les musulmans du monde entier. C’est ce que nous devons au Seigneur du ciel et de la terre » [5].

Depuis cette date, les différences entre ce qu’on appelait l’islam modéré ou politique et les thèses salafistes djihadistes ont disparu, et le processus de « légitimation » de la présence des combattants étrangers en Syrie dans la plus grande fatwa collective de l’histoire islamique contemporaine s’est enclenché. Les musulmans syriens, quelles que soient leurs factions et leurs orientations, ne sont plus maîtres de leur présent et de leur avenir dans le conflit qui oppose une dictature corrompue et le plus grand mouvement populaire qui lui fait face. L’arrivée massive de plus de 120 000 combattants non syriens provenant d’une soixantaine de pays, avec des facilités financières, matérielles et logistiques qui ont dépassé ce que nous avons connu dans l’expérience afghane, a constitué un changement complet dans la nature, la géographie et les objectifs des conflits armés et des luttes intestines, ainsi que dans la nature de l’État souhaité pour le changement.

mardi 29 avril 2025

Ben Ahmed : une association dénonce la stigmatisation des habitants après plusieurs meurtres dans la ville

TelQuel, 28/4/2025

 La section de Ben Ahmed de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l’homme (LMCDH) a dénoncé les campagnes malveillantes et l’acharnement systématique ayant visé les habitants de la ville sur certaines plateformes sociales, accusées d’avoir terni l’image de Ben Ahmed et de ses habitants de manière “inacceptable et irresponsable”.

La brigade locale de la police judiciaire de la ville de Ben Ahmed, appuyée par son homologue de la préfecture de Settat, a ouvert une enquête judiciaire sous la supervision du parquet compétent dans la soirée du dimanche 20 avril, afin d’élucider les circonstances entourant la découverte de restes de membres humains dans les toilettes annexes de la grande mosquée de Ben Ahmed. Crédit: Capture d'écran vidéo

Dans un communiqué transmis à Hespress, la Ligue a condamné ces campagnes qui renforcent la stigmatisation sociale et portent atteinte aux valeurs fondamentales des droits humains, fondées sur le respect de la dignité et l’égalité.

Une stigmatisation liée à l’affaire du “tueur de Ben Ahmed”, une série de crimes atroces (meurtres prémédités, mutilation de cadavres et vol aggravé, par un individu aujourd’hui incarcéré) que la Ligue suit “avec une profonde inquiétude”, soulignant qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais du reflet d’un contexte alarmant nécessitant un renforcement de la sécurité communautaire et une meilleure prise en charge de la santé mentale.

Tout en condamnant fermement ces actes criminels, la Ligue a exigé l’approfondissement des enquêtes, dans le strict respect de la présomption d’innocence jusqu’au prononcé de jugements définitifs.

Elle a également réitéré son appel aux autorités pour qu’elles accordent davantage d’importance aux politiques publiques de santé mentale et renforcent les mécanismes de prévention et de protection sociale afin de garantir la sécurité et la sérénité collectives.

Enfin, la Ligue a exhorté les médias et les utilisateurs des réseaux sociaux à respecter l’éthique de publication et à éviter les généralisations hâtives qui nuisent à l’image de toute une communauté à cause d’actes isolés.

dimanche 27 avril 2025

Une Gaza du siècle dernier
26 avril 1937 : la tragédie de Guernica, racontée par George Steer

C'était un lundi, jour de marché. Il y avait beaucoup de monde dans les rues de la petite ville de Guernica, qui comptait sept mille habitants. À 16 h 30, les cloches de l'église ont commencé à sonner, et cinq minutes plus tard, le premier avion est apparu, et a lâché six bombes explosives de 450 kilos, suivies d'un chapelet de grenades.

Quelques minutes plus tard, un deuxième avion est apparu. L'enfer a duré trois heures. En tout, ce sont 42 avions qui ont bombardé et mitraillé la ville, ses habitants et les environs où ils s'étaient réfugiés. Toute la ville a brûlé. L'incendie a duré longtemps. Bilan : 70% des édifices brûlés et un nombre de morts indéterminé, situé entre 800 et 1600. 70 ans plus tard, les historiens ne sont toujours pas d'accord sur le nombre de victimes de ce lundi noir qui fit de Guernica une ville-martyre et une ville-symbole, entrée définitivement dans notre mémoire collective. Les avions appartenaient à la Légion Condor allemande et à l'Aviation légionnaire italienne. Nom de l'opération : Operation Rügen.

Deux hommes ont contribué de manière décisive à faire de Guernica ce symbole : George Steer et Pablo Picasso.

Le premier était un jeune journaliste de 27 ans, né en Afrique du Sud, correspondant de guerre du quotidien londonien The Times et partisan déclaré de la cause républicaine et basque. L'Espagne n'était pas son premier théâtre de guerre. En 1935,il avait été envoyé spécial en Éthiopie, qu'on appelait alors l'Abyssinie, soumise à une féroce agression italienne, ordonnée par Mussolini -le dictateur qui avait les yeux plus gros que le ventre- qui accomplissait là son rêve d'Empire à coups de crimes de guerre. Déjà en Éthiopie, on avait vu des bombardements frapper une population civile désarmée. Déjà en Éthiopie, l'Occident démocratique avait trahi un peuple agressé par le fascisme.

George Steer arriva à Guernica quelques heures après le bombardement et câbla dans la nuit même son reportage de la ville martyre, qui parut le lendemain dans The Times et The New York Times, avant d'être repris par de nombreux journaux dans divers pays. C'est cet article qui a alerté le monde, suscitant des manifestations de protestation dans les rues de Londres et New York et déclenchant une contre-offensive médiatique des franquistes et de leurs alliés, l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. Dans ces deux pays, les médias se déchaînèrent contre les « hordes bolcheviques », qui, à les en croire, avaient mis elles-mêmes le feu à Guernica avant de la quitter. Leurs mensonges ont été rapidement démentis. Le récit que l'histoire a retenu est celui de George Steer, dont une rue porte le nom à Bilbao, tandis qu'à Gernika même, se dresse un buste de lui, inauguré en avril 2006.  


Le second, à 56 ans, est un peintre célèbre, installé en France. Il soutient la cause républicaine face à la rébellion franquiste. Celui que les Renseignements généraux (la police politique française) décriront comme un« un anarchiste considéré comme suspect au point de vue national » et comme « un peintre soi-disant moderne » -raison pour laquelle lui sera refusée la naturalisation française en avril 1940 - se met immédiatement au travail. Le résultat sera une toile monumentale de 8 mètres de long et de 3 m. 50 de haut, en noir et blanc, qui sera exposée au pavillon espagnol de l'Exposition universelle. Comme l'a dit Picasso, « La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi ».

Guernica est une leçon qui reste encore à apprendre. Les auteurs de ce crime de guerre, à commencer par le chef de la Légion Condor, le lieutenant-colonel Wolfram von Richthofen (1895-1945), furent fêtés comme des héros dans l'Allemagne nazie, et ceux d'entre eux qui vivent encore, coulent une paisible retraite, donnant des interviews avec une incroyable décontraction. Le bombardement de la ville sainte des Basques était une expérience grandeur nature, destinée à évaluer les capacités de l'aviation allemande à détruire une ville de manière efficace. Comme l'a dit Hermann Göring au procès de Nuremberg : « La guerre civile espagnole m'a donné l'occasion de tester ma jeune aviation et a été un moyen pour mes hommes d'acquérir de l'expérience. »

Ce crime de guerre ne fut ni le premier ni le dernier du XXème siècle. Les premiers bombardements de populations civiles avec des armes chimiques furent ordonnés par Winston Churchill sur l'Irak en 1915. Après Guernica, il y aura d'autres villes-martyres, comme Coventry, Hambourg, Dresden, Hiroshima, Nagasaki. Après l'Espagne, toute l'Europe. Après l'Europe, l'Asie, de la Palestine à la Corée, au Vietnam et au Cambodge.

Les Guernica d'aujourd'hui s'appellent Gaza, Tal Afar, Falloujah, Samarra, Najaf, mais aussi Grozny ou Kandahar. Les avions qui lâchent leurs bombes meurtrières ne portent plus la croix de fer mais les couleurs de pays « démocratiques ». Les « Rouges ennemis de Dieu » que Franco, Hitler et Mussolini prétendaient combattre pour sauver l'Occident chrétien on été remplacés par les « islamistes » et « l'Axe du Mal », qui, selon Bush, véritable Hitler de notre temps, va de La Havane à Pyongyang en passant par Caracas, Beyrouth, Damas, Khartoum et Téhéran. Et la « communauté internationale », comme elle avait été paralysée devant le martyre de l'Éthiopie puis celui de l'Espagne, est aujourd'hui pire que paralysée devant le martyre de la Palestine, de l'Irak, de l'Afghanistan, elle est complice des centaines de Guernica qui se répètent sous nos yeux fatigués, jour après jour.

Lisez le reportage de George Steer. Il dit, en peu de mots, l'essentiel.- Fausto GiudiceTlaxcala, 27/4/2017


Une ville détruite par une attaque aérienne

Un témoin oculaire raconte

De notre envoyé spécial, Bilbao, le 27 avril 1937

Guernica, la plus ancienne ville des Basques et le centre de leur tradition culturelle, a été complètement détruite hier après-midi par des raids aériens des insurgés. Le bombardement de cette ville ouverte située loin derrière les lignes a pris exactement trios heures et quart, durant lesquelles une puissante flotte aérienne consistant en trois types d'avions allemands, des bombardiers Junkers et Heinkel et des chasseurs Heinkel, n'a pas cessé de déverser sur la ville des bombes pesant 1000 livres [453 kg.] et moins et, selon les calculs, plus de trois mille projectiles incendiaires de deux livres [907 gr.] chacun. Les chasseurs, pendant ce temps, opéraient des piqués sur la ville et ses alentours pour mitrailler la population civile qui s'était réfugiée dans les champs.


La vieille souche de l'Arbre de Gernika

Tout Guernica s'est rapidement retrouvée en flammes, à l'exception de la Casa de Juntas historique, qui contient les riches archives de la race basque, et où l'ancien Parlement basque siégeait. Le fameux chêne de Guernica, aussi bien la vieille souche desséchée de 600 ans que les nouvelles pousses, a été aussi épargné. C'est là que les rois d'Espagne faisaient le serment de respecter les droits démocratiques (fueros) de Biscaye et en retour recevaient la promesse d'allégeance en tant que suzerains, avec le titre démocratique de Señor et non de Roi de Biscaye. La majestueuse église Santa Maria a été aussi épargnée, à l'exception de son beau chapitre, qui a été frappé par une bombe incendiaire.

À 2 h ce matin, quand j'ai visité la ville, le spectacle était terrifiant. Guernica brûlait d'un bout à l'autre. Les reflets de l'incendie pouvaient être vus sur les nuages de fumée au-dessus des montagnes à 16 km à la ronde. Pendant toute la nuit, des maisons s'écroulèrent au point que les rues étaient encombrées d'importants débris rougeoyants et infranchissables. Beaucoup de survivants civils ont pris le long chemin de Guernica à Bilbao dans d'antiques chars à bœufs basques aux roues solides. Des chars sur lesquels s'empilaient tout ce qui avait pu être sauvé des maisons après la conflagration ont encombré les routes toute la nuit.

D'autres survivants ont été évacués dans des camions du gouvernement, mais beaucoup ont été forcés de rester aux alentours de la ville en feu, couchés sur des matelas ou à la recherché de parents et d'enfants égarés, tandis que des unités de pompiers et de la police motorisée basque, sous la direction personnelle du ministre de l'Intérieur, Señor Monzon, et de sa femme, continuaient les opérations de secours jusqu'à l'aube.


La cloche de l'église sonne l'alerte

Le raid sur Guernica n'a pas de précédent dans l'histoire militaire, aussi bien par la forme de son exécution que par les dimensions des destructions perpétrées, sans parler de l'objectif choisi. Guernica n'était pas un objectif militaire. Une usine de matériel d e guerre à l'extérieur de la ville n'a pas été touchée. Ce fut aussi le cas des deux casernes qui se trouvaient à quelque distance de Guernica. Celles-ci étaient loin derrière les lignes de combat. La ville est loin derrière les lignes. L'objectif du bombardement était apparemment de démoraliser la population civile et de détruire le berceau de la race basque. Tous les éléments militent en faveur de cette interprétation, à commencer par le jour choisi pour ce forfait.

Lundi était le jour traditionnel de marché à Guernica pour toute la région. À 16 h 30, quand le marché était plein et que des paysans continuaient d'y arriver, la cloche de l'église a commencé à sonner l'alerte : des avions approchaient. La population a cherché refuge dans des caves et dans des tranchées-abris qui avaient été creusées suite au bombardement de la population civile de Durango le 31 mars, qui a ouvert l'offensive du Général Mola dans le Nord. On dit que les gens ont montré un grand courage. Un prêtre catholique a pris les choses en main et un ordre parfait a été maintenu.

Cinq minutes plus tard, un bombardier allemand isolé est apparu, faisant des cercles à basse altitude au-dessus de la ville, puis a lâché six bombes lourdes, visant de toute apparence la gare. Les bombes, suivies d'une pluie de grenades, sont tombées sur un ancien institut et sur les maisons et les rues l'entourant. Puis l'avion est reparti. Cinq minutes plus tard, est arrivé un second bombardier, qui a lâché le même nombre de bombes sur le centre de la ville. Environ un quart d'heure plus tard, trois Junker sont arrivés pour continuer le travail de démolition, et dès lors, le bombardement a gagné en intensité et a continué sans répit, ne cessant qu'à l'approche de la nuit à 19 h 45. Toute cette ville, qui comptait 7000 habitants plus 3,000 réfugiés, a été lentement mais sûrement réduite en pièces. Sur un rayon de 8 km, un détail de la technique des attaquants a consisté à bombarder des fermes isolées. Dans la nuit, celles-ci brûlaient comme des chandelles sur les collines. Tous les villages alentour ont été bombardés avec la même intensité que la ville elle-même et à Mugica, un petit hameau à l'entrée de Guernica, la population a été mitraillée pendant quinze minutes.


GUERRIKA, par Juan Kalvellido, 2017

Rythme de mort

Il est pour le moment impossible de dire le nombre de victimes. Dans la presse Bilbao ce matin, on peut lire qu'il est "heureusement faible” mais il est à craindre que cela ne soit une litote destinée à ne pas alarmer le grand nombre de réfugiés à Bilbao. À l'hôpital Josefinas, qui a été l'un des premiers endroits bombardés, tous les 42 miliciens qu'il hébergeait ont été purement et simplement tués. Dans une rue descendant la colline depuis la Casa de Juntas j'ai vu un endroit où l'on m'a dit que 50 personnes, presque toutes des femmes et des enfants, ont été piégées dans un abri antiaérien sous une masse de décombres en flammes. Beaucoup de gens ont été tués dans les champs et en tout, les morts pourraient être plusieurs centaines. Un prêtre âgé nommé Aronategui a été tué par une bombe alors qu'il portait secours à des enfants dans une maison en flammes.

La tactique des bombardiers, qui pourrait intéresser des étudiants en nouvelle science militaire, était la suivante : premièrement, des petits groupes d'avions lancent des bombes lourdes et des grenades à main sur toute la ville, choisissant zone après zone de manière ordonnée. Puis arrivent des chasseurs volant en rase-mottes pour mitrailler les gens qui courent paniqués hors des tranchées-abris, dont certaines avaient été pénétrées par des bombes de 1000 livres, qui font des trous de 25 pieds (7,62 m.). Beaucoup de ces gens ont été tués alors qu'ils couraient. Un grand troupeau de moutons qui avaient été amenés au marché ont aussi été tués. L'objectif de cette manœuvre était apparemment de pousser la population à aller sous terre de nouveau, car aussitôt après pas moins de 12 bombardiers sont apparus en même temps pour lâcher des bombes lourdes et incendiaires sur les ruines. Le rythme de ce bombardement d'une ville ouverte était, donc, logique : d'abord des grenades à main des bombes lourdes pour déclencher la panique puis les mitraillages pour les forcer à se cacher sous terre, et enfin des bombes lourdes et incendiaires pour détruire les maisons et les brûler au-dessus de la tête des victimes.

Les seules contre-mesures que les Basques pouvaient prendre, car ils ne possèdent pas suffisamment d'avions pour faire face à la flotte insurgée, étaient celles fournies par l'héroïsme du clergé basque. Ils bénissaient et priaient pour la foule agenouillée - socialistes, anarchistes, communistes aussi bien que croyants déclarés - dans les tranchées-abris qui s'effondraient.

Quand je suis entré dans Guernica après minuit, les maisons s'effondraient de toutes parts, et il était absolument impossible même pour les pompiers d'entrer dans le centre de la ville. L'hôpital Josefinas et le Couvent Santa Clara étaient des tas de braises rougeoyantes, et les quelques maisons encore debout étaient condamnées. Quand j'ai visité à nouveau Guernica cet après-midi, la plus grande partie de la ville brûlait encore et de nouveaux incendies avaient éclaté. Environ 30 morts étaient allongés dans un hôpital en ruines.

Un appel aux Basques

L'effet du bombardement de Guernica, la ville sainte basque, a été profond et a conduit le Président Aguirre à publier la déclaration suivante dans la presse basque de ce matin : « Les aviateurs allemands au service des rebelles espagnols ont bombardé Guernica, brûlant la ville historique vénérée par les Basques. Ils ont voulu nous blesser dans le plus sensible de nos sentiments patriotiques, donnant clairement à voir ce à quoi Euzkadi peut s'attendre de la part de ceux qui n'hésitent pas à nous détruire dans le sanctuaire même qui nous rappelle les siècles de note liberté et de note démocratie.

Face à cet attentat, nous tous Basques devons réagir avec violence, jurant du fond de notre coeur de défendre les principes de notre peuple avec tout l'entêtement et l'héroïsme requis. Nous ne pouvons cacher la gravité de ce moment, mais l'envahisseur ne pourra jamais emporter la victoire si, élevant nos esprits à des sommets de force et de détermination, nous nous armons pour sa défaite.

L'ennemi a avancé en beaucoup d'endroits pour ensuite être repoussé. Je n'hésite pas à affirmer que la même chose va se passer ici. Puisse l'attentat d'aujourd'hui nous stimuler à le faire de toute urgence. »

Lire aussi
Bombardement de Guernica le 26 avril 1937 : Controverse dans la presse française (BNF-Gallica)

Exploration 3D du Guernica de Picasso par Lena Gieseke



Gernika, 7 mars 2024

samedi 26 avril 2025

GIDEON LEVY
À quoi et qui je pense quand retentissent les sirènes du souvenir de la Shoah

 Gideon Levy, Haaretz , 23/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

 

Israël ne commet pas un holocauste contre le peuple palestinien. Cependant, au cours des 19 derniers mois, il s’en est rapproché à une vitesse effrayante. Cela doit être dit, et avec encore plus d’insistance aujourd’hui.

 
Des personnes en deuil lors des funérailles de Palestiniens tués dans des frappes israéliennes, à l’hôpital Al-Ahli Arabi, dans la ville de Gaza, mercredi. Photo  Dawoud Abu Alkas/Reuters

Comme chaque année, je me tiendrai au garde-à-vous lorsque la sirène retentira, et mes pensées vagabonderont. Elles passeront du souvenir de ma grand-mère et de mon grand-père, Sophie et Hugo Löwy, dont j’ai vu les noms gravés sur le mur commémoratif du vieux cimetière juif de Prague, aux images de Gaza, qui ne me quittent pas.

Depuis mon enfance, pendant que retentissaient les sirènes, j’ai toujours imaginé un grand incendie consumant tout. Avant la guerre de Gaza, j’imaginais des Juifs brûler dans les flammes ; cette année, je verrai aussi les bébés brûlés vifs la semaine dernière dans leur tente à Khan Younès, et avec eux des milliers d’enfants,de femmes et d’hommes qu’Israël a tués sans pitié.

 Comment est-il possible de se tenir au garde-à-vous aujourd’hui sans penser à l’enquête effrayante de Yaniv Kubovich  sur l’exécution de 15 secouristes palestiniens par des soldats israéliens, qui les ont abattus de sang-froid, puis ont écrasé leurs ambulances et enterré les corps dans le sable ? Sans penser au résident de Sinjil, en Cisjordanie, dont la maison a été incendiée par des colons, après quoi des soldats sont venus lui lancer des gaz lacrymogènes jusqu’à ce qu’il ait une crise cardiaque et meure, comme l’a rapporté Hagar Shezaf mercredi ? Sans penser à la communauté pastorale d’Umm al-Khair, dans les collines du sud d’Hébron, et aux pogroms incessants que ces gens pacifiques subissent de la part de l’armée et des colons, qui ont uni leurs forces pour les expulser de leurs terres ?

Comment ne pas penser à l’article courageux et choquant d’Orit Kamir (Haaretz hébreu, 22 avril) sur les Israéliens qui se taisent sur cette guerre, ce qui, selon elle, leur enlève le droit de se plaindre des Allemands qui ont fait de même, et être d’accord avec chaque mot ? Ou à l’article tout aussi choquant de Daniel Blatman sur les enfants de Gaza et les enfants de l’Holocauste (Haaretz hébreu, 23 avril) ? Il écrit que le jour où les combats ont repris à Gaza restera gravé dans l’histoire juive comme un jour d’infamie. On ne peut qu’espérer que ce sera le cas.

« J’étudie l’Holocauste depuis 40 ans », écrit Blatman. « J’ai lu d’innombrables témoignages sur le génocide le plus horrible qui ait jamais existé, celui du peuple juif et d’autres victimes. Cependant, je n’aurais jamais pu imaginer, même dans mes pires cauchemars, que je lirais un jour des récits sur des massacres commis par l’État juif qui me rappellent de manière effrayante les témoignages des archives de Yad Vashem. »

Il ne s’agit pas d’une comparaison avec l’Holocauste, mais d’un terrible avertissement sur la direction que prennent les choses. Ne pas y penser aujourd’hui, c’est trahir la mémoire de l’Holocauste et de ses victimes. Ne pas penser à Gaza aujourd’hui, c’est renoncer à son humanité et profaner la mémoire de l’Holocauste. C’est un signe avant-coureur de ce qui nous attend.

 

Le frère de Zain Hijazi, un enfant de quatre ans tué lundi lors du bombardement israélien d’un campement de tentes pour Palestiniens déplacés par le conflit, au Jazira Club de Gaza. Photo AFP/Omar Al-Qattaa

En Israël, les gens ont tendance à affirmer que le 7 octobre est la pire catastrophe qui ait frappé le peuple juif depuis l’Holocauste. Il s’agit bien sûr d’une comparaison perverse qui dévalorise la mémoire de l’Holocauste. Il n’y a aucune similitude entre l’attaque meurtrière et ponctuelle du 7 octobre et l’Holocauste. Mais ce qui a suivi évoque bel et bien ce souvenir.

Il n’y a pas d’Auschwitz ou de Treblinka à Gaza, mais il y a des camps de concentration. Il y a aussi la famine, la soif, le transfert de personnes d’un endroit à l’autre comme du bétail et le blocus des médicaments.

Ce n’est pas encore l’Holocauste, mais l’un de ses éléments fondamentaux est en place depuis longtemps : la déshumanisation des victimes qui s’est installée chez les nazis souffle désormais avec force en Israël. Depuis la reprise de la guerre, quelque 1 600 Palestiniens ont été tués à Gaza. Il s’agit d’un bain de sang, pas d’un combat. Cela se passe non loin de chez nous, perpétré par les meilleurs de nos fils et filles. Cela se passe dans le silence et l’indifférence écœurante de la plupart des Israéliens.

Ariel Rubinstein, lauréat du prix Israël, a publié un article profond et inspirant (Haaretz hébreu, 22 avril), dans lequel il explique pourquoi il ne se mettra pas au garde-à-vous cette année lorsque retentira la sirène. Je me tiendrai debout et je penserai à ma grand-mère et à mon grand-père, mais surtout à Gaza.

“Mort des innocents” : peinture murale de l’artiste norvégien Töddel à Bergen, Norvège, juillet 2004. Les établissements d’enseignement supérieur de cette ville ont coupé leurs relations avec leurs homologues israéliens. L’œuvre a été évidemment attaquée comme “antisémite” par les organisations sionistes. « Représenter une victime de l’Holocauste avec un keffieh est une grave déformation de l’histoire », a déclaré le Congrès juif européen dans un communiqué. « De tels actes ne constituent pas une critique sincère, mais des représentations profondément antisémites et offensantes qui portent atteinte à la mémoire de l’Holocauste ».
Mais l’auteur de la fresque, l’artiste de rue norvégien anonyme Töddel, défend son œuvre, expliquant à l’Agence télégraphique juive qu’il a choisi Anne Frank précisément en raison de son respect pour l’histoire de l’Holocauste.
Töddel a déclaré ne pas être juif, mais avoir lu plusieurs fois le journal d’Anne Frank et visité les camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau avec ses enfants.
« Anne Frank est un symbole d’innocence », a déclaré l’artiste. « Comme les enfants et les femmes de Gaza, elle a souffert et est morte à cause de son origine ethnique et de sa religion, et parce qu’elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. » [NdT]


Cette autre œuvre murale, de l’artiste de rue aleXsandro Palombo* à Milan, Piazza Castello (novembre 2023) reflète bien la confusion mentale « intersectionnelle » régnant en Europe. « La fureur antisémite déclenchée par le Hamas submerge les Juifs partout dans le monde. Cette horreur qui resurgit du passé doit nous faire réfléchir tous, car elle menace la liberté, la sécurité et l'avenir de chacun d'entre nous. Le terrorisme est la négation même de l'humanité et n'a rien à voir avec la résistance. Il nous utilise pour nous diviser et nous entraîner dans l'abîme de son mal, dans un tourbillon infernal sans fin. Il ne pourra y avoir de paix tant que le terrorisme ne sera pas éradiqué. Le légitimer, c'est condamner à mort l'humanité tout entière » : dixit l’artiste, dont le travail de commande s’inscrivait dans une série intitulée « Innocence, haine et espérance ». L’Ann Frank de droite est devenue israélienne, celle de gauche palestinienne, brûlant un drapeau du Hamas. Les intervenants anonymes qui ont recouvert l’Ann Frank israélisée ont respecté celle de gauche, ne comprenant sans doute pas le message qu’elle véhiculait : que les résistants de Gaza sont les nouveaux nazis. [NdT]
*Né en 1973 dans Pouilles, milanais depuis 1992, l'artiste anonyme se présente comme un “travailleur humanitaire” ayant œuvré entre autres à la Croix Rouge, à l'aide aux réfugiés albanais et à la « lutte contre le trafic de drogue dans le détroit de Gibraltar » menée par...la marine militaire italienne.



vendredi 25 avril 2025

Un projet de réaménagement du marché de Derb Ghallef à Casablanca

À Casablanca, le « marché informel » de Derb Ghallef, emblématique depuis plus d'un siècle, pourrait bientôt changer de visage. La mairie de Casablanca, en collaboration avec l'arrondissement de Maârif, envisage de réhabiliter complètement ce vaste espace en un centre commercial moderne, mieux équipé et conforme aux normes de sécurité actuelles. Un projet ambitieux, qui suscite autant d'espoirs que d'inquiétudes parmi les 20 000 commerçants du site.

Des Marocains achètent des olives et d'autres produits dans un marché souk à Casablanca alors qu'ils se préparent à rompre le jeûne pendant le premier jour du mois sacré du Ramadan à Casablanca, au Maroc, dimanche 3 avril 2021. (Image d'illustration)
Des Marocains achètent des olives et d'autres produits dans un marché souk à Casablanca alors qu'ils se préparent à rompre le jeûne pendant le premier jour du mois sacré du Ramadan à Casablanca, au Maroc, dimanche 3 avril 2021. (Image d'illustration) AP - Abdeljalil Bounhar

« Sur Derb Ghallef, tu vas réparer toutes les choses que tu ne peux pas réparer ailleurs », résume Zakaria sous son microscope, affairé sur un téléphone dernier cri. Fer à souder à la main, il tente de résoudre un problème de reconnaissance faciale. « C'est une passion, réparer quelque chose. C'est à chaque fois un nouveau défi, c'est une passion, c'est comme l'amour. »

Ce matin-là, il tente régler un problème de reconnaissance faciale sur un téléphone de « la marque à la pomme », mais dans l'obscurité, car les générateurs qui fournissent l'électricité aux commerçants n'ont pas encore été mis en route. « Nous avons besoin d'électricité, car nous n'en avons pas ici, et on n'aime pas aussi les gens qui harcèlent les clients », peste-t-il.

Si Zakaria est sensible à l'idée de réhabiliter Derb Ghallef, il redoute une transformation trop brutale. « Si le gouvernement veut en faire un centre commercial, le problème, c'est qu'ils voudront tout savoir sur ce marché », craint celui qui souhaite préserver l'atmosphère unique du lieu, entre entraide et mise en commun des compétences de chacun.

A Derb Ghallef, les clients aiment les prix. Souvent peu ou pas taxés, les produits sont abordables et négociables. Amin a par exemple parcouru 40 km aujourd'hui pour trouver un nouvel objectif pour son appareil photo. « Le marché de Derb Ghallef, c'est une référence pour nous, même un réflexe ! Tout ce qui est électronique, achat d'ordinateur, réparation... Tant qu'il est à Casablanca, on souhaite tout le bien pour ce marché-là. »

Une étape clé du projet a déjà été lancée : l'expropriation d'une parcelle de 55 000 m², sur l'emplacement actuel du marché. Mais d'après certains commerçants, cette réhabilitation, complexe à mettre en œuvre, pourraient être retardée par les échéances électorales à venir au Maroc, à savoir les élections législatives de 2026 et les élections communales de 2027. 

Un enjeu environnemental majeur

Selon un rapport des Nations Unies, le Maroc a produit 177 000 tonnes de déchets électroniques en 2022, un chiffre qui a quasiment doublé depuis 2010. Chaque Marocain en génère près de cinq kilos par an.

Pour Anaïs Audrey Kouassi, doctorante ivoirienne en droit de l'environnement et développement durable à la faculté des sciences juridiques de Salé au Maroc, Derb Ghallef doit être intégré dans les politiques publiques de gestion des déchets.

« Le marché de Derb Ghallef est un lieu très emblématique qui concentre de nombreuses activités liées aux équipements électriques et électroniques usagers, donc on va parler de revente, de réparation, de démontage... Ce sont des pratiques qui restent largement informelles, donc il faudrait mettre en place un cadre légal, c'est-à-dire développer un cadre juridique assez souple mais structurant qui va reconnaitre l'existence de ces marchés informels et proposer des mécanismes d'intégration. Dans un second temps, il faudrait créer des centres agréés de collecte et de pré-traitement à proximité de ces marchés-là. » 

jeudi 24 avril 2025

Au Maroc, le mouvement amazigh célèbre son printemps et affiche ses revendications

Jassim Ahdani, Jeune Afrique, 23/4/2025

À Marrakech comme à Rabat, les mobilisations du 45e Printemps amazigh ont réaffirmé des revendications identitaires fortes, entre luttes locales et mémoire collective qui va au-delà des frontières du royaume.

La marche amazighe de Marrakech, en avril 2025. © Tamazgha/Facebook

La marche amazighe de Marrakech, en avril 2025. © Tamazgha/Facebook

Deux marches distinctes ont été organisées le dimanche 20 avril, l’une à Marrakech, l’autre à Rabat, à l’occasion du 45e anniversaire de Tafsut Imazighen, le « Printemps amazigh ». Si la première a pu se dérouler dans un cadre paisible, la seconde a été interrompue par les forces de l’ordre.

Dans la cité ocre, vers 11 heures, entre 3 000 et 3 500 personnes se sont rassemblées aux pieds des remparts de Bab Doukkala, en dépit d’un dispositif sécuritaire visible et d’un message initial des autorités interdisant la manifestation. Deux camions à jet d’eau, une dizaine de véhicules des forces auxiliaires et sept ambulances étaient mobilisés. « On a senti qu’il y avait volonté de nous empêcher de marcher », témoigne une source présente sur place. Ce n’est qu’à 11 h 45 que les autorités ont autorisé le départ du cortège, qui a parcouru environ 4,5 kilomètres jusqu’à la mosquée Koutoubia, sous encadrement policier.

Soixante ONG se sont jointes à l’événement, choisissant Marrakech pour sa proximité avec la région d’Al Haouz, touchée par un violent séisme le 8 septembre 2023. Outre la commémoration de Tafsut, la marche visait à exprimer la solidarité avec les sinistrés et à appeler l’État à accélérer le processus de reconstruction. Selon les chiffres officiels, environ 3 200 familles vivent encore sous des tentes, malgré la mobilisation d’un fonds de 16 milliards de dirhams (plus de 1,5 milliard d’euros).

À Marrakech, les manifestants ont également plaidé pour la libération de Saïd Aït Mehdi, coordinateur de la Coalition des victimes du séisme, condamné début mars à un an de prison ferme, ainsi que pour celle de trois autres activistes d’Al Haouz condamnés à trois mois de détention. Des slogans ont également visé la libération des détenus du Hirak du Rif. Dans la foule, plusieurs banderoles ont souligné les inégalités d’accès aux infrastructures et aux services publics, ainsi que les spoliations foncières, notamment dans l’Anti-Atlas. À cet effet, plusieurs collectifs venus de la région Souss-Massa ont pris part à la marche sous la bannière de la Coordination Akal.

À Rabat, la marche prévue le même jour n’a pas pu se tenir comme espéré. Environ 200 manifestants avaient prévu de défiler de la place Bab El Had au Parlement, mais ont été bloqués par un important dispositif sécuritaire. Des échauffourées mineures ont été signalées. « Deux manifestants venus de Nador ont été blessés et évacués à l’hôpital », note un activiste présent, leurs blessures n’étant pas jugées graves.

Une synergie nord-africaine

Sous le mot d’ordre « Pour une identité amazighe de l’État », les participants ont insisté sur la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, notamment dans l’enseignement et les médias. Selon les ONG participantes, bien que le tamazight ait été officialisé en 2011, les institutions publiques peinent encore à traduire cette avancée dans les faits.

Des critiques ont également été adressées au gouvernement d’Aziz Akhannouch, accusé de ne pas avoir honoré ses engagements électoraux en matière d’intégration de la langue et de la culture amazighes. En ce sens, des voix se sont élevées contre ce qu’elles ont qualifié de régression dans la représentation médiatique et académique de l’amazighité. En guise d’exemple, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et le ministère de la Culture ont récemment lancé un programme de traduction des œuvres des Marocains du monde vers l’arabe… sans y inclure le tamazight.

Si, à Marrakech, la manifestation s’est articulée autour de revendications ancrées dans les réalités locales, à Rabat, les slogans ont principalement porté sur des dossiers institutionnels. Mais au-delà de ces spécificités, une convergence entre les deux mobilisations reste notable. Qu’il s’agisse de Marrakech ou de Rabat, toutes deux ont réaffirmé un appel désormais récurrent dans la mouvance amazighe : la libération des détenus du Hirak du Rif.

Autre similarité : dans les deux villes, des étendards de la Kabylie et de l’Azawad (nord du Mali) ont été brandis aux côtés des fameux drapeaux tricolores amazighs. Un geste lourd de symbolique, synonyme d’un sentiment d’appartenance à un bassin culturel commun. Car au-delà des doléances, « Tafsut, c’est une date phare célébrée un peu partout, dans les villages, les villes, les campus universitaires, sans lieu central », résume un des leaders de la marche avortée à Rabat.

Le Printemps amazigh de 1980

Tafsut, commémorée chaque année en avril, trouve ses racines non pas au Maroc mais dans les événements de 1980 en Kabylie, lorsqu’une conférence sur la poésie amazighe préislamique fut interdite à Tizi Ouzou. Depuis, la date est devenue un moment symbolique pour les militants amazighs à travers l’Afrique du Nord et la diaspora.

Dans un article paru en avril 2023 sur le site amadalamazigh, le chercheur marocain Mounir Kejji rend compte de l’« Impact du Printemps amazigh d’avril 1980 sur le Maroc ». Le 19 avril 1981, le linguiste Boujemâa Habbaz fut enlevé à Rabat. Il ne sera jamais retrouvé. Dans la revue Amazigh, lancée par Ouzzine Aherdan et censurée à l’époque, un article intitulé « Pour une vraie définition de notre culture nationale » signé Ali Sadki Azaykou a valu à son auteur, historien, une condamnation à une année de prison en 1982. L’avocat Hassan Id Balkassm, lui, a été arrêté pendant une semaine la même année pour avoir écrit son nom en tifinagh sur la plaque de son cabinet.

Du côté d’Agadir, « quatre hôtels ont été fermés pour avoir accroché des plaques en tifinagh sur leur devanture », tandis que « la seule association amazighe active dans le Souss pendant cette période, à savoir l’université d’été d’Agadir, s’est vue interdire sa session annuelle », rappelle Mounir Kejji dans son article.

mercredi 23 avril 2025

Voici les langues les plus parlées au Maroc en 2025 (sondage)

  Salma Kyla, H24 Info, 21/4/2025

Le cabinet Sunergia spécialisé en sondages et en études de marché a réalisé une enquête sur les langues les plus parlées au Maroc en 2025.

Une récente étude du groupe Sunergia s’est penchée sur les pratiques linguistiques des Marocains, qui sont en constante évolution. Si la Darija demeure prédominante dans la vie quotidienne, d’autres langues gagnent du terrain. Ce sondage avait pour principal objectif d’explorer les langues les plus parlées au Maroc et leurs contextes d’utilisation, ainsi que leur usage selon les générations et le statut socio-économique.


La darija, omniprésente 

Selon les données de l’enquête, 100% des Marocains parlent couramment la darija, l’étude révèle également que la darija est la langue parlée par tous les Marocains: 94% l’ont comme langue maternelle. « Au Maroc, la darija n’a pas de statut officiel mais elle est souvent utilisée dans plusieurs contextes grâce à ses nouvelles utilisations dans le monde des réseaux sociaux, la publicité et autres domaines » précise le cabinet.

L’arabe classique: un usage lié à l’enseignement

L’étude indique que 29 % des Marocains parlent couramment l’arabe classique. Ce taux est plus élevé chez les moins de 34 ans (34 %), ce qui pourrait s’expliquer par un niveau d’alphabétisation historiquement plus bas parmi les générations précédentes. L’usage de l’arabe classique est également plus fréquent en milieu urbain (37 %) et au sein des catégories socio-professionnelles (CSP) A/B (44 %).

L’amazighe: ancrage et stabilité

Les résultats démontrent que la langue amazighe est parlée par 25 % des Marocains, dont 21 % l’ont comme langue maternelle. Sa pratique est particulièrement concentrée dans le Sud du pays (39 % des locuteurs d’amazighe y résident). Selon Sunergia, l’usage de cette langue semble stable à travers les générations.

Le français: une place clé, mais des disparités générationnelles

Le français maintient une place importante dans les pratiques linguistiques des Marocains, avec 19 % d’entre eux le parlant couramment. Son usage est particulièrement marqué dans l’administration, l’éducation et le monde de l’entreprise.

Le sondage révèle des disparités générationnelles dans la maîtrise du français. Un taux de 24 % est enregistré chez les jeunes de moins de 35 ans, ce qui constitue un « pic » par rapport à la moyenne. À l’inverse, une proportion plus faible (14 %) est observée chez les 35-54 ans, « probablement liée aux politiques d’arabisation mises en œuvre au Maroc dans les années 80 », estime Sunergia. Les 55-64 ans affichent un taux de 18 %.

L’étude souligne également un écart important selon le statut socio-économique: les catégories aisées A/B atteignent un taux élevé (43 %), soit 7 fois supérieur à celui des classes populaires D/E (6 %).

L’anglais: l’ascension auprès des jeunes et des élites

Malgré les nouvelles tendances anglophones et l’intérêt croissant de la jeune génération, l’étude rapporte que seulement 9 % des Marocains parlent couramment l’anglais. Cette pratique est davantage le fait des moins de 34 ans (17 %), des urbains (12 %) et des CSP A/B (22 %). Selon Sunergia, cette présence s’explique par son intégration renforcée dans l’éducation, son importance sur le marché du travail et sa forte présence dans les médias de divertissement et sur les réseaux sociaux.

Espagnol et allemand: une présence marginale

L’étude conclut à une présence très faible de l’espagnol et de l’allemand. Seulement 1 % des Marocains parlent couramment l’espagnol ou l’allemand.

Le sondage de Sunergia révèle que 45 % des Marocains sont monolingues, et tous parlent la darija (100 %).

Un total de 34 % des Marocains sont bilingues, répartis comme suit: darija + amazigh (48 %): une combinaison plus fréquente chez les 35-54 ans (61 %), les populations rurales (72 %), les habitants du sud (71 %) et les personnes appartenant à la CSP D/E (61 %).

Pour darija + arabe classique (37 %): plus courante chez les seniors de 65 ans et plus (53 %), les urbains (44 %), tandis que darija + français (12 %) est davantage présente chez les 55-64 ans (22 %), dans la région centre (24 %), en milieu urbain (15 %) et au sein de la CSP A/B (25 %).

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En ce qui concerne le trilinguisme, 14 % des Marocains sont trilingues, avec les profils suivants: darija + arabe classique + français (42 %): une combinaison prédominante chez les personnes âgées de plus de 55 ans (74 %), les urbains (48 %) et les catégories sociales A/B (62 %). La même source explique que la combinaison darija + amazigh + arabe classique (27 %) est plus fréquente en milieu rural (55 %) et auprès de la CSP D/E (57 %). Cependant, darija + français + anglais (21 %): largement répandue chez les jeunes de 18-24 ans (47 %) et la CSP C (30 %).

S

 En matière de polyglottisme (quatre langues ou plus), l’enquête indique une présence plus marquée parmi les jeunes de 25-34 ans (11 %), les populations urbaines (9 %) et la CSP A/B (20 %).