Ignacio Cembrero, El Confidencial, 23/09/2025
Traduit par Tafsut
Aït Baâmrane
Un tribunal néerlandais demande à Yassine Mansouri, chef des services secrets extérieurs du Maroc, de comparaître au procès de l’un de ses agents infiltrés depuis des années dans l’agence de lutte antiterroriste des Pays-Bas
Yassine
Mansouri, chef de la DGED
Chaque année, de nouvelles activités et ramifications de l’espionnage marocain en Europe, sauf en Espagne, sont révélées au grand jour. C’est celui qui fait le plus de gros titres dans la presse du Vieux Continent après celui de la Russie, un pays considéré comme ennemi de l’OTAN et de l’Union européenne.
Le dernier
scandale impliquant les espions de Rabat a éclaté il y a deux ans, mais il a pris de l’ampleur
la semaine dernière. Le tribunal de Rotterdam, qui s’apprête à juger
un agent présumé des services secrets marocains, a demandé la comparution comme
témoin de Yassine Mansouri,
responsable de la Direction générale des études et de la documentation (DGED),
les services secrets extérieurs du Maroc. Il a également demandé à trois autres
hauts responsables de la DGED de témoigner. Une telle initiative est sans
précédent.
Mansouri, 63
ans, est depuis 2005 le directeur de la DGED, le seul service secret marocain
qui dépende directement du palais royal. Il entretient des relations très
étroites avec le roi Mohamed VI, avec lequel il a partagé les bancs du Collège royal
de Rabat pendant des années.
La demande
des juges de Rotterdam a été révélée ce week-end par le quotidien NRC Handelsblad d’Amsterdam.
Le parquet et Bart Nooitgedagt, l’avocat de l’accusé, Abderrahim El M., ont
refusé de commenter cette information, qui a ensuite été publiée par d’autres
journaux néerlandais. Il est très improbable que Yassine Mansouri accède à la
demande du tribunal et se rende à Rotterdam.
Dans le
cadre de l’enquête, Dick Schoof, actuel
Premier ministre qui dirigeait il y a quelques années la Coordination nationale
pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme (NCTV, selon ses initiales en
anglais), un organisme qui harmonise le travail de la police et des
services secrets, a déjà comparu ce mois-ci à huis clos devant les juges. Son
successeur, Pieter-Jaap Aalbersberg,
a également témoigné devant le tribunal.
L’accusé d’espionnage,
Abderrahim El M., est un sexagénaire néerlandais d’origine marocaine. Il s’est
rendu aux Pays-Bas pour étudier la philosophie, mais y est resté pour
travailler comme traducteur de l’ arabe. Il a fini par devenir analyste senior
au sein de la Coordination nationale de la lutte contre le terrorisme et de la
sécurité. À ce titre, il avait accès à des informations classifiées sur la
radicalisation et le terrorisme, ainsi qu’à certaines opérations policières.
Surveillé
pendant deux ans, il a finalement été arrêté le 26 octobre 2023 à l’aéroport de
Schiphol alors qu’il s’apprêtait à se rendre au Maroc, selon le parquet
néerlandais. Il transportait avec lui du matériel classifié sur des supports
numérisés et cryptés. Une perquisition à son domicile par les services de
renseignement et de sécurité intérieure (AIVD, selon ses initiales en
néerlandais) a également permis de découvrir 928 documents secrets
provenant de deux agences. Le volume total du matériel qu’il avait subtilisé s’élevait
à 46 téraoctets.
Au cours de
l’instruction, Abderrahim El M. a nié être un traître, mais sans fournir d’arguments
réfutant les accusations présentées par le parquet. Il a soutenu pendant l’interrogatoire
qu’il ne pouvait pas donner de détails sur son travail afin de ne pas nuire à
la sécurité nationale. Son avocat a quant à lui affirmé que son client était
victime d’un « complot ».
Abderrahim
El M. a comparu devant les juges en liberté surveillée après avoir passé 20
mois en prison. Dans le cadre de ses activités d’espionnage,
il a bénéficié de la collaboration d’une policière de 37 ans, qui n’est restée
qu’un mois derrière les barreaux et qui est désormais également en liberté
provisoire. Elle sera jugée prochainement avec lui.
Les juges
ont demandé à entendre Yassine Mansouri et trois responsables des services
secrets marocains, car ils soupçonnent Abderrahim El M. de les avoir rencontrés
lors d’un de ses fréquents voyages au Maroc. Les autorités marocaines n’ont pas
réagi publiquement à la demande du tribunal d’instruction.
Environ 420
000 Marocains résident aux Pays-Bas, auxquels s’ajoutent 250 000 autres qui ont
acquis la nationalité néerlandaise. La majeure partie de l’émigration rifaine, dont beaucoup sont des exilés
politiques, s’est installée dans le pays qui est également l’épicentre
de la Mocro-Mafia,
le cartel de la drogue et du blanchiment d’argent dans lequel les criminels d’origine
marocaine jouent un rôle important. C’est pourquoi il s’agit d’une cible
prioritaire pour les services de renseignement marocains, selon le rapport
annuel de l’AIVD en 2024.
Le précédent
cas d’espionnage marocain aux
Pays-Bas qui a été révélé remonte à 2008. Un sergent de police d’origine
marocaine, Redouane Lemhaouli,
avait également été jugé pour espionnage pour le compte de la DGED. Il avait
accès à certaines bases de données du ministère de l’Intérieur dont il avait
extrait, selon l’accusation, des informations confidentielles sur des « actions
contre le roi du Maroc », le « terrorisme » et le « trafic d’armes », qu’il a
communiquées à deux agents des services secrets marocains sous couverture
diplomatique. Tous deux ont été expulsés du pays.
La volonté
des juges d’obtenir le témoignage de Mansouri pourrait tendre les relations
diplomatiques entre le Maroc et les Pays-Bas. Rabat a déclenché en février 2014
une crise avec Paris
après que la police judiciaire française se fut présentée au domicile parisien
de l’ambassadeur marocain pour conduire devant un juge d’instruction Abdellatif Hammouchi,
qui se trouvait dans la capitale française. Hammouchi, qui s’est enfui
précipitamment de France, est à la tête de la Direction générale de la
surveillance du territoire (DGST), qui est à la fois un service de
contre-espionnage et une police politique.
Le nom de
Yassine Mansouri est également apparu dans le cadre de l’enquête ouverte en
Belgique, en décembre 2022, connue sous le nom de
Qatargate, mais qui est en réalité un Moroccogate. C’est la DGED
marocaine qui, à l’origine, a mis en place un réseau de corruption d’eurodéputés
et d’anciens eurodéputés qui, avec leurs assistants, ont soutenu, par le biais
de pots-de-vin, les intérêts du Maroc au sein des institutions européennes, notamment en ce qui concerne
le Sahara occidental. Au moins l’un des protagonistes du réseau de corrompus
a rencontré Mansouri à Rabat.
L’Espagne a
toujours voulu éviter de traduire en justice les collaborateurs des services de
renseignement marocains afin d’éviter tout conflit diplomatique avec Rabat. C’est
pourquoi le CNI [Centre national de renseignement] a promu, en mai 2013, l’expulsion de Noureddine
Ziani, qui opérait depuis des années dans toute la Catalogne,
parfois en coordination avec Mohamed Belahrch, le superviseur du Moroccogate à
Bruxelles depuis 2019.
La justice
espagnole a extradé vers l’Allemagne, en janvier dernier, le Marocain Youssef El A.,
accusé d’espionnage pour le compte de la DGED. La cour d’appel de Düsseldorf l’a
condamné ce mois-ci à un an et demi de prison, mais avec suspension de la
peine, pour avoir espionné l’opposition rifaine résidant en Allemagne. La peine
a été légère car l’accusé a avoué sa culpabilité et n’avait pas de casier
judiciaire.
La DGED a
également subi un autre revers lorsque, après avoir voyagé dans plusieurs pays,
son ancien « numéro deux », Mehdi Hijaouy, s’est
retrouvé à Madrid il y a un an. La justice marocaine a demandé son extradition par
l’Espagne pour, entre autres motifs, avoir encouragé l’émigration clandestine
depuis le Maroc, une accusation peu crédible. Craignant d’être livré aux
autorités de son pays, Hijaouy s’est enfui clandestinement et se cache
désormais ailleurs en Europe.
Chaque
année, de nouvelles activités et ramifications de l’espionnage marocain en Europe,
sauf en Espagne, sont révélées au grand jour. C’est celui qui fait le plus de
gros titres dans la presse du Vieux Continent après celui de la Russie, un pays
considéré comme ennemi de l’OTAN et de l’Union européenne.



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