mercredi 24 septembre 2025

Yassine Mansouri, chef de la DGED, convoqué au procès d’un de ses agents aux Pays-Bas

 Ignacio Cembrero, El Confidencial, 23/09/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

Un tribunal néerlandais demande à Yassine Mansouri, chef des services secrets extérieurs du Maroc, de comparaître au procès de l’un de ses agents infiltrés depuis des années dans l’agence de lutte antiterroriste des Pays-Bas

Yassine Mansouri, chef de la DGED

Chaque année, de nouvelles activités et ramifications de l’espionnage marocain en Europe, sauf en Espagne, sont révélées au grand jour. C’est celui qui fait le plus de gros titres dans la presse du Vieux Continent après celui de la Russie, un pays considéré comme ennemi de l’OTAN et de l’Union européenne.

Le dernier scandale impliquant les espions de Rabat a éclaté il y a deux ans, mais il a pris de l’ampleur la semaine dernière. Le tribunal de Rotterdam, qui s’apprête à juger un agent présumé des services secrets marocains, a demandé la comparution comme témoin de Yassine Mansouri, responsable de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), les services secrets extérieurs du Maroc. Il a également demandé à trois autres hauts responsables de la DGED de témoigner. Une telle initiative est sans précédent.

Mansouri, 63 ans, est depuis 2005 le directeur de la DGED, le seul service secret marocain qui dépende directement du palais royal. Il entretient des relations très étroites avec le roi Mohamed VI, avec lequel il a partagé les bancs du Collège royal de Rabat pendant des années.


La demande des juges de Rotterdam a été révélée ce week-end par le quotidien NRC Handelsblad d’Amsterdam. Le parquet et Bart Nooitgedagt, l’avocat de l’accusé, Abderrahim El M., ont refusé de commenter cette information, qui a ensuite été publiée par d’autres journaux néerlandais. Il est très improbable que Yassine Mansouri accède à la demande du tribunal et se rende à Rotterdam.

Dans le cadre de l’enquête, Dick Schoof, actuel Premier ministre qui dirigeait il y a quelques années la Coordination nationale pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme (NCTV, selon ses initiales en anglais), un organisme qui harmonise le travail de la police et des services secrets, a déjà comparu ce mois-ci à huis clos devant les juges. Son successeur, Pieter-Jaap Aalbersberg, a également témoigné devant le tribunal.

L’accusé d’espionnage, Abderrahim El M., est un sexagénaire néerlandais d’origine marocaine. Il s’est rendu aux Pays-Bas pour étudier la philosophie, mais y est resté pour travailler comme traducteur de l’ arabe. Il a fini par devenir analyste senior au sein de la Coordination nationale de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité. À ce titre, il avait accès à des informations classifiées sur la radicalisation et le terrorisme, ainsi qu’à certaines opérations policières.

Surveillé pendant deux ans, il a finalement été arrêté le 26 octobre 2023 à l’aéroport de Schiphol alors qu’il s’apprêtait à se rendre au Maroc, selon le parquet néerlandais. Il transportait avec lui du matériel classifié sur des supports numérisés et cryptés. Une perquisition à son domicile par les services de renseignement et de sécurité intérieure (AIVD, selon ses initiales en néerlandais) a également permis de découvrir 928 documents secrets provenant de deux agences. Le volume total du matériel qu’il avait subtilisé s’élevait à 46 téraoctets.

Au cours de l’instruction, Abderrahim El M. a nié être un traître, mais sans fournir d’arguments réfutant les accusations présentées par le parquet. Il a soutenu pendant l’interrogatoire qu’il ne pouvait pas donner de détails sur son travail afin de ne pas nuire à la sécurité nationale. Son avocat a quant à lui affirmé que son client était victime d’un « complot ».

Abderrahim El M. a comparu devant les juges en liberté surveillée après avoir passé 20 mois en prison. Dans le cadre de ses activités d’espionnage, il a bénéficié de la collaboration d’une policière de 37 ans, qui n’est restée qu’un mois derrière les barreaux et qui est désormais également en liberté provisoire. Elle sera jugée prochainement avec lui.

Les juges ont demandé à entendre Yassine Mansouri et trois responsables des services secrets marocains, car ils soupçonnent Abderrahim El M. de les avoir rencontrés lors d’un de ses fréquents voyages au Maroc. Les autorités marocaines n’ont pas réagi publiquement à la demande du tribunal d’instruction.

Environ 420 000 Marocains résident aux Pays-Bas, auxquels s’ajoutent 250 000 autres qui ont acquis la nationalité néerlandaise. La majeure partie de l’émigration rifaine, dont beaucoup sont des exilés politiques, s’est installée dans le pays qui est également l’épicentre de la Mocro-Mafia, le cartel de la drogue et du blanchiment d’argent dans lequel les criminels d’origine marocaine jouent un rôle important. C’est pourquoi il s’agit d’une cible prioritaire pour les services de renseignement marocains, selon le rapport annuel de l’AIVD en 2024.

Le précédent cas d’espionnage marocain aux Pays-Bas qui a été révélé remonte à 2008. Un sergent de police d’origine marocaine, Redouane Lemhaouli, avait également été jugé pour espionnage pour le compte de la DGED. Il avait accès à certaines bases de données du ministère de l’Intérieur dont il avait extrait, selon l’accusation, des informations confidentielles sur des « actions contre le roi du Maroc », le « terrorisme » et le « trafic d’armes », qu’il a communiquées à deux agents des services secrets marocains sous couverture diplomatique. Tous deux ont été expulsés du pays.

La volonté des juges d’obtenir le témoignage de Mansouri pourrait tendre les relations diplomatiques entre le Maroc et les Pays-Bas. Rabat a déclenché en février 2014 une crise avec Paris après que la police judiciaire française se fut présentée au domicile parisien de l’ambassadeur marocain pour conduire devant un juge d’instruction Abdellatif Hammouchi, qui se trouvait dans la capitale française. Hammouchi, qui s’est enfui précipitamment de France, est à la tête de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), qui est à la fois un service de contre-espionnage et une police politique.

Le nom de Yassine Mansouri est également apparu dans le cadre de l’enquête ouverte en Belgique, en décembre 2022, connue sous le nom de Qatargate, mais qui est en réalité un Moroccogate. C’est la DGED marocaine qui, à l’origine, a mis en place un réseau de corruption d’eurodéputés et d’anciens eurodéputés qui, avec leurs assistants, ont soutenu, par le biais de pots-de-vin, les intérêts du Maroc au sein des institutions européennes, notamment en ce qui concerne le Sahara occidental. Au moins l’un des protagonistes du réseau de corrompus a rencontré Mansouri à Rabat.

L’Espagne a toujours voulu éviter de traduire en justice les collaborateurs des services de renseignement marocains afin d’éviter tout conflit diplomatique avec Rabat. C’est pourquoi le CNI [Centre national de renseignement]  a promu, en mai 2013, l’expulsion de Noureddine Ziani, qui opérait depuis des années dans toute la Catalogne, parfois en coordination avec Mohamed Belahrch, le superviseur du Moroccogate à Bruxelles depuis 2019.

La justice espagnole a extradé vers l’Allemagne, en janvier dernier, le Marocain Youssef El A., accusé d’espionnage pour le compte de la DGED. La cour d’appel de Düsseldorf l’a condamné ce mois-ci à un an et demi de prison, mais avec suspension de la peine, pour avoir espionné l’opposition rifaine résidant en Allemagne. La peine a été légère car l’accusé a avoué sa culpabilité et n’avait pas de casier judiciaire.

La DGED a également subi un autre revers lorsque, après avoir voyagé dans plusieurs pays, son ancien « numéro deux », Mehdi Hijaouy, s’est retrouvé à Madrid il y a un an. La justice marocaine a demandé son extradition par l’Espagne pour, entre autres motifs, avoir encouragé l’émigration clandestine depuis le Maroc, une accusation peu crédible. Craignant d’être livré aux autorités de son pays, Hijaouy s’est enfui clandestinement et se cache désormais ailleurs en Europe.

Chaque année, de nouvelles activités et ramifications de l’espionnage marocain en Europe, sauf en Espagne, sont révélées au grand jour. C’est celui qui fait le plus de gros titres dans la presse du Vieux Continent après celui de la Russie, un pays considéré comme ennemi de l’OTAN et de l’Union européenne.

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire