vendredi 6 octobre 2017

Un Maroc de façade

portrait


Dans « La République de Sa Majesté », Omar Brouksy montre l’envers d’une royauté autoritaire, qui dépense sans compter pour s’offrir une image d’ouverture, avec la complicité d’une partie de l’élite française.

Ce professeur d’économie et ex-journaliste a fait  de la dénonciation  des mœurs policières,  politiques et économiques du royaume sa spécialité.

Omar Brouksy
Universitaire

 
Ce professeur d’économie et ex-journaliste a fait de la dénonciation des mœurs policières, politiques et économiques du royaume sa spécialité. / Omar Brouksy
A chaque fois qu’il peut venir en France, Omar Brouksy ne manque pas de faire un grand détour par le petit village de Sainte-Marie-du-Mont, près des plages du Débarquement en Normandie. Il y rencontre Gilles Perrault, l’écrivain et journaliste qui fit trembler Hassan II en publiant Notre ami le roi en 1990. Un séisme que n’a toujours pas digéré le palais. Gilles Perrault, aujourd’hui 86 ans, est resté persona non grata au Maroc.
Omar Brouksy, 49 ans, est en quelque sorte son fils spirituel, qui a fait de la dénonciation des mœurs policières, politiques et économiques de Mohammed VI et de son entourage sa spécialité. Après Mohammed VI, derrière les masques paru en 2014 et préfacé par Gilles Perrault, il récidive avec La République de Sa Majesté (1).
Or, il n’y a rien que le monarque et le makhzen (le pouvoir administratif, politique et économique dépendant du roi) détestent plus qu’une mise à nu. Car Sa Majesté excelle dans l’art du paraître. Un « roi des pauvres » qui sillonne le pays et lutte contre les inégalités tout en confondant PIB et fortune personnelle. Un garant de modernité qui bâillonne les voix dissonantes. Ce « Maroc de façade », comme l’appelle Alain Gresh dans sa préface, s’écroulerait s’il ne bénéficiait pas de l’indéfectible soutien d’une partie de l’élite politique et médiatique française, choyée jusqu’à l’indécence par la monarchie comme le documente de manière éloquente Omar Brouksy. Les Franco-Marocains qui ont un pied ici, un pied là, ont une bonne place dans ce rôle de faire-valoir – qu’ils soient haut placés, chantres de la contestation, de l’humour ou de la dérision dans l’Hexagone – et se muent en courtisans dès qu’ils foulent le sol marocain.
La riposte du palais est à l’avenant, efficace et feutrée. Les livres qui dérangent ne sont jamais officiellement censurés. « Les libraires comprennent vite qu’ils n’ont pas intérêt à les commander », précise Omar Brouksy. Il en fut ainsi de l’essai de Gilles Perrault, qui s’est tout de même vendu à 600 000 exemplaires en France. « Et il a été beaucoup photocopié ! Il nous a fait découvrir la vraie nature du régime, il a été le marqueur de toute une génération », poursuit-il. Il en est de même avec ses ouvrages disponibles… de l’autre côté de la Méditerranée.
Omar Brouksy est fonctionnaire, enseignant d’économie à l’université de Rabat depuis douze ans. « Une aubaine ! », sourit-il. S’il était resté journaliste, il aurait certainement été contraint à l’exil, comme la plupart de ses confrères avec lesquels il a tenu à bout de bras en parallèle de sa fonction d’enseignant L’Hebdomadaire puis Le Journal hebdomadaire, de 1997 à sa fermeture en 2010 après que le titre a été asphyxié financièrement. L’Agence France-Presse fait alors appel à lui pour assurer la correspondance au Maroc. Mais Omar Brouksy est une brebis galeuse pour le palais. Les autorités refusent de lui délivrer sa carte de presse à plusieurs reprises. « L’AFP m’a toujours soutenu, même après que l’ambassadeur du Maroc en France a par deux fois rencontré le PDG de l’agence pour que je sois muté dans un autre pays. » Les pressions finissent toutefois par payer. C’est Omar Brouksy, las de l’adversité, qui démissionne en 2014 au moment de la sortie de son premier livre. Il reste depuis lors sur la liste noire de ceux que l’on n’invite pas sur les plateaux télévisés ou dans les studios de radio.
Et pourtant, comme beaucoup, il a cru à une nouvelle ère quand « M6 » a accédé au trône en 1999. « À L’Hebdomadaire, nous étions très enthousiastes, jusqu’à ce que le roi montre son vrai visage ; le journal a été interdit une première fois en 2001. » À nouveau, le printemps arabe en 2011, incarné au Maroc par le « mouvement du 20 février », soulève une immense espérance. Ce jour-là, Omar Brouksy couvre les manifestations pour l’AFP et, signe du destin, son fils vient au monde.
« Le roi a prononcé un discours véritablement révolutionnaire le 9 mars, on a vraiment cru à une évolution vers une monarchie parlementaire. Mais le mouvement s’est essoufflé. La Constitution de juillet a finalement préservé tous les pouvoirs du roi et le chaos du printemps arabe a ensuite été une opportunité pour serrer à nouveau la vis. » La rébellion dans le Rif, dans le nord du Maroc, s’est achevée dans la répression avec des centaines d’arrestations avant l’été.
« On a raté le rendez-vous. Le Maroc reste un état policier et autoritaire, un pays rongé par la corruption, sans justice ni presse indépendante. »
Marie Verdier
(1) La République de Sa Majesté. France-Maroc, liaisons dangereuses, Nouveau monde éditions, 320 p., 17,90 €.

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