Pour accéder aux salles d’audience de la Cour d’appel de Casablanca, il
faut en passer par un escalier monumental de vingt-sept marches.
Interminables. Réplique absurde et misérable d’une architecture
coloniale qui se voulait grandiloquente, brandie en guise d’épée de
Damoclès, afin de mieux frapper l’esprit des indigènes et impressionner
les éventuels contradicteurs d’entre eux. Le colonisateur parti, les
réflexes sont restés. Le Makhzen se les est naturellement appropriés, pour mieux terroriser le petit peuple.
Dans
cet escalier de dix mètres de large, il n’y a pas un seul garde-corps,
pas une seule rambarde ou filière pour ceux qui seraient à la peine,
les vieillards, les impotents et autres handicapés. Point d’escalator ni
d’ascenseur non plus. Il en va ainsi de la vie au Maroc. Point de salut
ni de soutien aux plus faibles.
Et
les deux paliers intermédiaires n’y feront rien, ceux qui empruntent
cette interminable montée sont condamnés à la subir, comme première
étape d’un long calvaire qui leur fera boire le calice de l’injustice
jusqu’à la lie. Car n’allez surtout pas, l’espace d’un instant, imaginer
ceux qui détiennent les leviers du pouvoir et de l’argent, fouler ces
marches. Ceux-là en seront quittes pour un simple appel téléphonique. La
punition est exclusivement réservée aux pauvres parmi les pauvres,
aux sans-voix et aux sans-grades. Des justiciables comme ils disent et
qui n’ignorent rien de ce qui les guette, au bout de cette interminable
escalade: un supplice ourdi par une justice aux ordres qui intime le
silence, brise les consciences et fait se consumer les cœurs des
familles et des bien-aimés.
Pire que l’infamie
C’est
de cela et de tout le reste, sale et indigne, indicible et insoutenable
qu’il s’est agi, cette nuit-là, lorsque la chambre criminelle de la
Cour d’appel de Casablanca a condamné les militants du Hirak rifain, avant de récidiver quelques jours plus tard, avec la condamnation du journaliste, Hamid El Mahdaoui
qui avait, on s’en souvient, couvert, au plus près des manifestants,
les événements. Les familles des militants rifains ne s’y étaient pas
trompées. Elles ont simplement refusé de gravir cet escalier de la honte
qui les aurait menés inévitablement à prendre part à la sordide
mascarade, orchestrée de toute pièce par le Makhzen honni et ses
marionnettistes.
Le chroniqueur Gérard Bauër disait ceci :
- « Il y a une chose pire encore que l'infamie des chaînes, c'est de ne plus en sentir le poids ! ».
Et
c’est précisément parce que les rifains s’obstinent à secouer
régulièrement les chaînes qui les entravent, que le Makhzen s’en prend
tout aussi régulièrement à eux. D’abord en les oubliant délibérément
dans ses plans de développements régionaux. Embargo impitoyable qui a
renvoyé des régions entières du Rif au Moyen-âge, condamnant les
populations à l’exil ou à la contrebande avec l’Espagne voisine. Il a
même été question, des décennies durant, d’un ostracisme des populations
rifaines, interdites de séjour dans ce qu’on appelle le Maroc
intérieur. Énième fait du Prince.
Ban d’infamie et banc d’honneur
A
Casablanca, dans cet antre de la persécution, ce supplétif cruel du
despotisme qu’est la Cour d’appel, en cette nuit du 20 juin, le ban
d’infamie s’était tout simplement porté de l’autre côté du prétoire, sur
cette estrade, parmi ces hommes qui auraient dû dire le Droit, rendre
justice et libérer des innocents mais qui, au final, se sont faits les
auteurs d’une forfaiture, celle de dénier à leurs semblables, leur droit
élémentaire à la dignité, à l’éducation, à la santé, au travail et à
tout ce qui est propre à cimenter une nation.
Le
banc de l’honneur était, quant à lui, occupé par ces héros d’un autre
temps, Nasser Zefzafi et ses camarades dont l'ombre plane obstinément
sur un régime qui a définitivement basculé dans la paranoïa et la
schizophrénie. Pour preuve, le roi lui-même reconnaissait implicitement
l’état des lieux dressé par le Hirak, en limogeant plusieurs
responsables, pour incurie et remettant en cause, quelques mois plus
tard, le modèle de développement marocain, dans l’un de ses discours.
Ces
condamnations s’inscrivent dans un contexte particulier, au moment
précis où le peuple marocain ayant expérimenté, en vain toutes les
facettes de la protestation, pour faire plier le régime, instrumente
une nouvelle forme de militantisme, le boycott
des produits commercialisés par les entreprises appartenant aux grandes
familles ou aux groupes étrangers « broutant au piquet de la
monarchie ».
Des
affameurs auquel le peuple marocain veut faire payer la misère qu’ils
ont engendrée, par leur insoutenable cupidité responsable de la hausse
du coût de la vie qui, à certains égards, concurrence, sinon dépasse
celui de plusieurs pays européens.
Vengeance
ou simple coïncidence du calendrier, les condamnations ont suscité une
vague unanime de protestation, tant au Maroc qu’à l’étranger et qui
rappelle par son ampleur celle que suscita la libération du pédophile Daniel Galvan Viña, sur
grâce royale. Seuls les affranchis de la mafia du Makhzen montent au
créneau pour défendre l’indéfendable, arguant que la gravité de certains
actes relevaient de la peine capitale. Faudrait-il donc, au surplus que
les accusés écrasent une larme de reconnaissance et remercient la cour
pour sa clémence ?
D’autres,
nous renvoient, toute honte bue, à une prochaine comparution en appel,
reprenant l’éternel refrain de lendemains meilleurs promis au peuple
marocain depuis plus de soixante ans.
Il
est un temps pour tout. Un temps pour la grisaille et un temps pour le
ciel bleu. Un temps pour l’ignominie et un temps pour l’honneur. Un
temps pour le despotisme et un temps pour la tolérance.
Le
Makhzen ne semble toujours pas avoir compris ces postulats d’une
simplicité élémentaire. Et qu'il ait choisi de franchir un palier
supplémentaire, dans l’iniquité et l’ignominie en cette nuit du 26 juin,
prouve à quel point il a depuis longtemps basculé dans un autisme
sévère qui nous rappelle ce célèbre discours de Churchill lorsqu’il
combattait cet autre despotisme qu’était le nazisme :
- « Ce n’est pas la fin. Ce n’est pas le commencement de la fin. Mais c’est peut-être la fin du commencement !»
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