Dimanche, 11 Novembre, 2018
Samedi
3 novembre, la vitrine contenant le projet Necessita dei Volti
(L’urgence des visages), qui venait d’ouvrir au public dans les
collections permanentes de votre établissement, a été précipitamment
fermée.
Monsieur le Président,
Proposé par un collectif informel d’artistes – chercheurs dont je
fais partie, ce projet est soutenu par des personnalités prestigieuses
telles que José Saramago, prix Nobel de littérature, Eyal Sivan, Noam
Chomsky ou encore Ken Loach. Il est à la fois connu et respecté sur le
plan international et c’est certainement pour cette raison que le
Centre Pompidou s’y est intéressé il y a plusieurs années déjà.
Ainsi, il est présenté en octobre 2012 dans la Petite salle du
Centre puis intégre en 2016 la collection de la Bibliotheq̀ue
Kandinsky et du Cabinet de la photographie (suite à sa présentation au
Beyrouth Art Center). Enfin, en octobre 2018, nous avons été
contacté par la Bibliothèque Kandinsky afin qu’il soit présenté au
sein des collections permanentes du Centre et avions pris la peine
d’échanger longuement avec vos équipes sur le format de sa
présentation afin d’éviter toute ambiguïté d’interprétation.
Je tiens à préciser que personne, au sein de votre institution,
n’a pris la peine de nous informer du retrait précipité de notre œuvre
et de la fermeture de sa vitrine.
Ce projet a connu un long cheminement. Il émane d’une démarche
artistique rigoureuse et d’un profond attachement aux valeurs humaines.
L’image est au cœur du projet. Il s’agit de photographies pour la
plupart anonymes, de provenance et de formats divers, qui révèlent une
guerre occultée : photos retrouvées sur les corps de soldats
marocains lors du conflit armé entre le Front Polisario et le Maroc,
images satellites du mur construit par le Maroc à travers le Sahara,
témoignages de l’occupation en cours dans les territoires du Sahara
Occidental... Je précise que la restitution aux familles des photos
retrouvées sur les combattants décéd́és avait été proposé par le
Front Polisario mais refusée par le Maroc.
Ce conflit a abouti à la construction du plus grand mur à
caractère répressif de l’histoire de l’humanité, de plus de 2700 km
de long et défendu par 160 000 militaires marocains. J’ai par le passé
consacré un film à ce sujet, Building Oblivion, qui a été projeté
à l’Assemblée Nationale en 2008, invité la même année à la School
of Oriental and African Studies par Ken Loach, au Royal African
Institute, au Frontline Club à Londres et diffusé par la BBC World
News.
Ce conflit implique également de façon systématique des actes de
torture et de séquestration de civils sahraouis ainsi que des
condamnations allant de 30 ans de prison à la perpétuité au seul
motif d’avoir participé à des manifestations pacifistes dans les
territoires illégalement occupés par le Maroc. De nombreuses plaintes
à l’encontre du Maroc ont d’ailleurs été deṕ osées devant les
tribunaux franca̧ is par l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition
de la torture) pour crimes de guerre.
La lettre qui vous a été adressée par Mehdi Qotbi ce 2 novembre
2018 et qui semblerait être à l’origine du retrait intempestif de
notre projet (dès le 3/11), relève de l’ingérence politique. Elle
affirme notamment que « La position de la France sur ce sujet est
gravée dans le marbre. Elle est la plus constante et la plus explicite
sur les droits légitimes du Maroc sur ce territoire du royaume ». Cette
déclaration est contraire au droit international et à la position de
l’ONU qui définit le Sahara Occidental comme « un territoire
non-autonome et occupé illégalement par le Maroc depuis 1975 ».
Personnellement, j’accorde plus de valeur aux considérations
d’ordre éthique qu’à l’injonction d’un pays qui revendique l’annexion
unilatérale d’un territoire. Il s’agit des valeurs des droits de
l’Homme, de la liberté de la presse et de la liberté d’expression plus
généralement.
De nombreuses personnalités, journalistes, intellectuels ou
parlementaires, s’interrogent sur ce grave dysfonctionnement : le cas
d’un Établissement Public culturel français obéissant à une
injonction à caractère politique émanant d’un gouvernement
étranger. Si j’ai pris la décision de sortir de l’anonymat de ce
collectif informel, c’est pour répondre aux tentatives de censure à
l’égard du projet où mon nom a été largement cité.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués.
Jean Lamore
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