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mercredi 29 avril 2020

Détruire les écosystèmes et récolter les virus






Bell Nicholas ,blog Mediapart,

Pièces jointes 27/4/2020




Une revue de presse sous confinement



Ce sera peut-être l’une des rares conséquences positives de cette crise sanitaire planétaire, celle de prêter enfin plus d’attention aux voix qui depuis longtemps nous avertissent que notre comportement destructeur envers les écosystèmes, envers ce qu’on appelle communément la nature, risque de nous mener à des catastrophes sanitaires d’une ampleur inédite.  

Selon Philippe Grandcolas, « Aujourd’hui nous savons qu’il ne s’agit pas que d’un problème médical. L’émergence de ces maladies infectieuses correspond à notre emprise grandissante sur les milieux naturels. On déforeste, on met en contact des animaux sauvages chassés de leur habitat naturel avec des élevages domestiques dans des écosystèmes déséquilibrés, proches de zones périurbaines. On offre ainsi à des agents infectieux de nouvelles chaînes de transmission et de recomposition possibles. (…) Le silence sur ce point est assourdissant. » 

Tout d’un coup le commun des mortels découvre des termes comme « zoonose », qui signifie « une maladie produite par la transmission d’un agent pathogène entre animaux et humains ». Et on se rend compte que cela fait des années que des chercheurs et des écologues tirent la sonnette d’alarme. Kate Jones, professeure d’écologie et de biodiversité à l’University College à Londres, a identifié 335 maladies infectieuses émergentes apparues entre 1940 et 2004, dont 60 % sont des zoonoses. En 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé a inscrit une « maladie X » dans la liste des pathologies pouvant provoquer un « danger international ». « La maladie X se propagerait rapidement et silencieusement ; exploitant des réseaux de voyage et de commerce humains, elle atteindrait plusieurs pays et serait difficile à contenir. »

Parmi la multitude de voix lançant des alertes dans le désert, citons encore la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les risques écosystémiques (IPBES) qui rappelle que l’érosion de la biodiversité entraîne de manière quasi systématique une augmentation de ces maladies. Ou encore l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture : « Selon la FAO, l’augmentation des maladies infectieuses émergentes coïncide avec la croissance accélérée des taux de déforestation tropicale enregistrés ces dernières décennies. Plus de 250 millions d’hectares ont disparu en quarante ans. Les forêts tropicales, parce qu’elles sont particulièrement riches en biodiversité, sont aussi très riches en micro-organismes ».


Selon Philippe Grandcolas, l’étude des écosystèmes est le parent pauvre de la science et de la biologie, n’attirant que 0.6 % des crédits pour la recherche en Europe.

L’article du Monde du 8 avril donne un exemple éclairant de comment ce processus de zoonoses fonctionne. Il s’agit du virus Nipah qui a émergé en Malaisie en 1998. «  Ce virus était hébergé par des chauves-souris frugivores du nord du pays. A cette époque, des élevages porcins industriels sont établis dans la région. Les éleveurs plantent également des manguiers et d’autres arbres fruitiers pour s’assurer une seconde source de revenus. Chassées des forêts où elles vivaient, en raison notamment de l’exploitation de l’huile de palme, les chauves-souris s’installent sur ces arbres. Les fruits à demi consommés, leur salive ou leurs excréments tombent dans les enclos, et les porcs mangent tout. Le virus se propage d’un cochon à l’autre, d’un élevage à l’autre, puis infecte l’homme. Plus d’un million de porcs sont abattus ».

Un article de Katarina Zimmer publié par National Geographic le 22 novembre 2019, donc avant la crise sanitaire actuelle, précise ce qui a pu déclencher le virus Nipah : « En 1997, des nuages de fumée planaient au-dessus des forêts tropicales d’Indonésie, où une zone de la taille de la Pennsylvanie, environ, avait été brûlée pour faire place à l’agriculture, et où les incendies avaient été exacerbés par la sécheresse. Etouffés par la brume, les arbres n’ont pas pu produire de fruits, laissant les chauve-souris frugivores sans autre choix que de voler ailleurs à la recherche de nourriture, emportant avec elles une maladie mortelle ».

Rappelons que « les chauves-souris sont les seuls mammifères pouvant voler, ce qui leur permet de se répandre en grand nombre, depuis une communauté spécifique, sur une vaste zone » (Nick Paton Walsh et Vasco Cotovio, sur le site de CNN, 19 mars).


Et ce ne sont pas les seuls à s’envoler vers d’autres cieux… « De nos jours, avec les transports motorisés et les avions, on peut se retrouver dans une forêt d’Afrique centrale un jour, et au centre de Londres le lendemain. » (Walsh et Cotovio)


Selon Katarina Zimmer, une maladie bien plus connue et plus meutrière, le paludisme, « qui tue plus d’un million de personnes chaque année en raison de l’infection par des parasites transmis par les moustiques est depuis longtemps soupçonné d’aller de pair avec la déforestation. (…) Au Brésil, au début du siècle, il y avait plus de 600.000 cas par an dans le bassin amazonien. (…) Le défrichement de parcelles de forêt semble créer un habitat idéal, en bordure de forêt, pour la reproduction du moustique Anopheles darlingi, le plus important vecteur du paludisme en Amazonie. (…) En un an d’étude, par exemple, 1600 km² de forêt défrichée – l’équivalent de 300.000 terrains de football – ont été liés à 10.000 cas supplémentaires de paludisme ». On ne peut que craindre l’impact des incendies qui ont encore ravagé l’Amazonie ces douze derniers mois.


Autre exemple : « Au Liberia, les coupes de forêts pour l’installation de plantations de palmiers à huile attirent des hordes de souris typiquement forestières, alléchées par l’abondance des fruits de palmiers autour des plantations et des habitations » (Katarina Zimmer). Résultat : les hommes contractent le virus Lassa qui au Liberia a tué 36 % des personnes infectées. « De tels processus ne se limitent pas aux maladies tropicales. Certaines des recherches de MacDonald ont révélé une curieuse association entre la déforestation et la maladie de Lyme dans le nord-est des Etats-Unis. »

Selon Serge Morand, écologue de la santé et chercheur au CNRS-Cirad basé en Thaïlande, «  on est en train de modifier en profondeur les interactions entre la faune sauvage et ses propres pathogènes et de détruire l’autorégulation des écosystèmes qui maintenait la circulation des virus à bas bruit. » Pour Kate Jones, « dans les écosystèmes riches, de nombreuses espèces, quand elles sont confrontées à un virus, peuvent le détruire ou ne pas le reproduire. Elles jouent un rôle de cul-de-sac épidémiologique, de rempart ». 

Katarina Zimmer : « De nombreux virus existent de manière inoffensive, avec leurs animaux hôtes, dans les forêts, ayant co-évolué avec eux. Mais les humains peuvent devenir des hôtes involontaires d’agents pathogènes lorsqu’ils s’aventurent dans les forêts ou lorsqu’ils altèrent les milieux forestiers ».


L’élevage industriel entraîne une simplification génétique et une uniformisation des espèces à de vastes échelles. Dans un communiqué publié le 2 avril 2020, l’association Grain explique que « de nouvelles recherches suggèrent que l’élevage industriel, et non les marchés de produits frais, pourrait être à l’origine du Covid-19. (…) La région autour de Wuhan est un épicentre des élevages industriels de porcs et elle est toujours en train de se débattre face à la mort massive de porcs suite à l’apparition d’un autre virus létal, il y a tout juste une année.  »


« A mesure que la production industrielle – porcine, avicole et autres – s’étend à la forêt primaire, elle fait pression sur les exploitants d’aliments sauvages pour qu’ils s’enfoncent davantage dans la forêt à la recherche de populations sources, augmentant ainsi l’interface avec de nouveaux agents pathogènes et par là leur propagation ». C’est l’une des sources probables du Covid-19 : « celles-ci comprennent un dangereux commerce d’animaux sauvages pour la nourriture, avec des chaînes d’approvisionnement s’étendant à travers l’Asie, l’Afrique et, dans une moindre mesure, les Etats-Unis et ailleurs. Ce commerce a maintenant été interdit en Chine, à titre temporaire ; mais il a également été interdit pendant le SRAS, puis a pu reprendre » (David Quammen, New York Times, 18 mars).

Comme le rappelle Philippe Grandcolas, la déstabilisation d’écosystèmes n’est pas un phénomène cantonné aux pays tropicaux et lointains. « En France nous tuons des centaines de milliers de renards par an. Or, ce sont des prédateurs de rongeurs porteurs d’acariens qui peuvent transmettre la maladie de Lyme par leurs piqûres. 

Selon Hélène Soubelet, « tout notre système économique est orienté vers la destruction de cette biodiversité que nous devons aujourd’hui préserver ». Pour l’historien Jérôme Baschet, « le Covid-19 est une ‘maladie de l’Anthropocène’  », ou pour lui donner « son véritable nom : Capitalocène. Car il est le fait, non de l’espèce humaine en général, mais d’un système historique spécifique. (…) Le virus qui nous afflige est l’envoyé du vivant, venu nous présenter la facture de la tourmente que nous avons nous-mêmes provoquée ».

« Malheureusement, la période dramatique que nous traversons pourrait exacerber le manichéisme humain, pousser certains à vouloir se débarasser de toute la biodiversité. (…) Nous ne pouvons pas nettoyer au Kärcher tous les micro-organismes qui nous entourent, on en a absolument besoin » (Philippe Grandcolas).

« Il n’y a pas d’ange ni de démon dans la nature, les espèces peuvent être les deux à la fois. La chauve-souris n’est pas qu’un réservoir de virus, elle est aussi un prédateur d’insectes en même temps qu’une pollinisatrice de certaines plantes » (Philippe Grandcolas). « Leur système immunitaire est mal compris et pourrait nous fournir des indices importants. Comprendre comment les chauves-souris font face à ces agents pathogènes peut nous apprendre comment les combattre, s’ils se répandent chez les gens » (Walsh et Cotovio).


L’attitude qui consiste à évaluer la nature sous l’unique angle de ce que nous considérons comme utile est fortement ancrée. Dans une chronique du Monde du 2 février, Stéphane Foucart, nous donne un exemple éclairant. Il explique que des experts allaient se réunir début février à Bruxelles afin de discuter un nouveau cadre réglementaire de protection de l’environnement. Il s’agit « d’une approche définissant des ‘objectifs spécifiques de protection’, et fondée sur la préservation des services rendus par la nature, non sur la protection de la nature elle-même. De tels principes pourraient permettre la destruction de certaines espèces si d’autres, remplissant peu ou prou le même rôle dans l’écosystème (la pollinisation des cultures, par exemple), sont susceptibles de leur survivre. (…) L’environnement est-il réductible à la somme des services qu’il rend aux hommes ? »  Peut-on « déclarer surnuméraire une espèce vivante ? Sa destruction, non comme conséquence accidentelle d’une activité, mais comme résultat prévisible et opérationnel d’un règlement, est-elle acceptable ? Est-ce à des experts de répondre à ces questions, derrière les portes closes d’une salle de réunion bruxelloise ? »  


« En plus des maladies connues, les scientifiques craignent qu’un certain nombre de maladies mortelles encore inconnues se cachent dans les forêts, qui pourraient être dispersées massivement, au fur et mesure de leur destruction. Carlos Zambrana-Torrelio remarque que la probabilité de retombées sur les populations pourrait augmenter avec le réchauffement climatique, qui pousse les animaux, ainsi que les virus qu’ils transportent, à migrer vers les régions où ils ne vivaient pas auparavant » (Katarina Zimmer). Est-ce que la crise sanitaire actuelle provoquera enfin une véritable prise de conscience plus large ? Ou verra-t-on un retour au « business as usual ? 


La bataille sera rude. « Quiconque cherche à comprendre pourquoi les virus deviennent plus dangereux doit étudier le modèle industriel de l’agriculture et, plus particulièrement de l’élevage animal. A l’heure actuelle, peu de gouvernements et scientifiques sont prêts à le faire. Bien au contraire. (…) Le capital est le fer de lance de l’accaparement des dernières forêts primaires et des terres agricoles détenues par les petits exploitants dans le monde. (…) Les responsables étatsuniens de la santé publique ont couvert l’agrobusiness lors des épidémies de H1N1 (2009) et de H5N2. (…) Les dommages sont si importants que si nous devions réintégrer ces coûts dans les bilans des entreprises, l’agribusiness tel que nous le connaissons serait définitivement arrêté. Aucune entreprise ne pourrait supporter les coûts des dommages qu’elle impose. » (Rob Wallace, acta.zone)


« Le Green Deal n’est plus la priorité numéro un de la Commission européenne. (…) Plusieurs chantiers – pour la biodiversité, pour une agriculture plus écologique, ou contre la déforestation – sont retardés. (…) Une chose est sûre, la mise à l’arrêt de l’économie mondiale a redonné de la voix aux contempteurs du Green Deal».  Les lobbies s’activent : « Le 8 avril, European Plastic Converters, qui représente les intérêts de l’industrie du plastique, plaidait pour l’abandon de la directive qui interdit les produits en plastique à usage unique. » L’article du Monde cite aussi l’Association des constructeurs européens d’automobiles, les compagnies aériennes… Aux Etats-Unis, sous l’impulsion de l’administration Trump, l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) a suspendu son application des lois environnementales pendant l'épidémie de coronavirus en cours, signalant aux entreprises qu'elles ne feront face à aucune sanction pour avoir pollué l'air ou l'eau.


« A Paris, le gouvernement a rejeté l’initiative de 45 députés qui portaient un ‘grand plan de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité, de la solidarité et de la justice sociale » (Lorène Lavocat, Reporterre, 28 mars).


Selon Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Inra, « nous avons atteint un point de non-retour. » Serge Morand : « cette fois-ci, ce ne sont plus des poulets ou des canards qui sont touchés, mais des milliards d’humains qui sont confinés. Il faut faire une vraie transition écologique, remettre l’agriculture au centre des terroirs. Agir localement, travailler avec les communautés ». Dépasserons-nous l’attitude de laisser venir les maladies, en se disant que l’on trouvera bien un vaccin ? Rappelons qu’il n’ y a toujours pas de vaccins contre le sida, le SARS ou le Zika. 


Hélène Soubelet : « il est trop tard pour les mesurettes. Ce qu’il faut, c’est une transformation de notre société dans sa façon d’occuper la planète. (…) Cependant, j’ai peur que l’on retombe après coup dans une forme d’amnésie. C’est de sagesse dont nous avons besoin. Cette idée que je ne vais pas privilégier mon confort personnel sur le court terme, mais me soucier sur le long terme du bien-être d’un plus grand nombre. »


«  Les chercheurs de l’Ecohealth Alliance ont proposé que le confinement des maladies puisse être considéré comme un nouveau service écosystémique, c’est-à-dire un avantage que les humains tirent gratuitement des écosystèmes naturels, tout comme le stockage du carbone et la pollinisation. Pour étayer cette thèse, leur équipe a travaillé à Bornéo, en Malaisie, pour déterminer le coût exact du paludisme, jusqu’à chaque lit d’hôpital et à la seringue utilisée par les médecins. En moyenne, ils ont découvert que le gouvernement malaisien dépense environ 5000 dollars pour traiter chaque nouveau patient atteint de paludisme. (…) Avec le temps, cela s’accumule, et dépasse les profits qui pourraient être réalisés en abattant les forêts en place. » (Katarina Zimmer) 


« Cunningham et Jones s’accordent à dire que modifier la trajectoire de la société industrielle serait plus simple que de développer un vaccin très coûteux pour chaque nouveau virus. Le coronavirus est peut-être le premier signe clair et incontestable du fait que les dommages environnementaux que cause la société industrielle pourraient très rapidement éradiquer les humains. (…)  » (Walsh et Cotovio).


La philosophe Virginie Maris prone « une métamorphose sociale, fondée sur des systèmes plus petits et plus résilients. Organiser, à l’échelle des territoires, une forme d’autonomie alimentaire et énergétique, tout en inventant des façons de faire société qui soient plus solidaires et plus justes. Il faudrait aussi cultiver le plaisir d’être là où nous sommes, afin que nos conditions d’existence soient suffisamment épanouissantes, désirables, pour ne pas avoir besoin de partir se vider la tête à l’autre bout du pays ou du monde ni de courir sans cesse après des biens de consommation qui nous échappent » (Reporterre, 28 mars).


Laissons le dernier mot à Jérôme Baschet : « la véritable guerre qui va se jouer n’a pas le coronavirus pour ennemi, mais verra s’affronter deux options opposées : d’un côté, la poursuite d’un monde où le fanatisme de la marchandise règne en maître et où le productivisme compulsif ne peut que mener à l’approfondissement de la dévastation en cours ; de l’autre, l’invention, qui déjà tâtonne en mille lieux, de nouvelles manières d’exister qui rompraient avec l’impératif catégorique de l’économie, afin de privilégier une vie bonne pour toutes et tous. Préférant l’intensité joyeuse du qualitatif aux fausses promesses d’une impossible illimitation, celle-ci conjoindrait le souci attentif du commun, l’entraide et la solidarité, ou encore la capacité collective d’auto-organisation et d’auto-gouvernement. » 







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