Quatre collégiens de Vitry-sur-Seine
racontent à Mediapart leur arrestation, les coups, les insultes et la
garde à vue injustifiée de trois d’entre eux, il y a deux semaines. Les
familles portent plainte auprès du parquet de Créteil. Enquête ouverte.
Au moment où le gouvernement admet enfin l’existence du problème, une
nouvelle affaire de violences policières et d’insultes racistes et
homophobes va être portée à la connaissance de la justice. Cette
fois-ci, les victimes sont quatre jeunes mineurs, élèves de troisième
âgés, de 14 à 15 ans, domiciliés à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Deux
sont d’origine maghrébine, l’un est noir, le quatrième blanc aux cheveux
bruns. Ils viennent de subir une arrestation, ont été menottés,
humiliés, menacés, insultés, l’un a été giflé, les trois autres ont
passé plus de 24 heures en garde à vue avant d’être mis hors de cause,
selon des informations obtenues par Mediapart et France Inter.
Quatre plaintes pour des faits de « détention arbitraire », « injures à caractère raciste et homophobe », « discriminations », et « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique » ont été adressées lundi 8 juin au parquet de Créteil par Jérôme Karsenti, l’avocat des familles. Une double enquête administrative (l’une sur les injures racistes, l’autre sur les droits en garde à vue) a déjà été ouverte par la préfecture du Val-de-Marne, alertée par la députée Mathilde Panot (LFI).
https://www.mediapart.fr/journal/france/100620/insultes-racistes-et-homophobes-garde... https://www.mediapart.fr/journal/france/100620/insultes-racistes-et-homophobes-garde...
Tout débute il y a deux semaines, mardi 26 mai en début d’après-midi, vers 14 h 40, dans un quartier tranquille de Vitry. Raphaël, Sadi, Yassine et Lucas*, quatre copains de collège, se retrouvent pour la première fois depuis le début du confinement. « Ils ont été acheter du soda et des chips au supermarché, et ils discutaient en bas de chez Yassine, raconte la maman de Sadi. Ce sont des bons gamins. Ils ne fument pas, ne font pas de bêtises, et ce sont de bons élèves, ils passent tous en seconde générale. » Ce sera leur premier contact avec la police.
Quatre policiers en civil portant un brassard surgissent et contrôlent le groupe d’adolescents. On apprendra plus tard qu’ils appartiennent à la BAC (brigade anti-criminalité) du Kremlin-Bicêtre. Apeurés, les mineurs sont interrogés sur leur identité et sur leurs activités de la veille. « Ils nous collent contre le mur, ils commencent à nous fouiller et à regarder dans nos téléphones, raconte Raphaël. On était en stress. Ils ont commencé à mal parler à mes potes. Ils ont dit en parlant de Yassine : “Lui, c’est un Africain, ça se voit.” Ils nous demandent ce qu’on fait, on répond qu’on est sortis ensemble, et là ils nous disent : “Vous êtes gays !” »
Son copain Sadi confirme. « On ne savait pas ce qu’ils voulaient. Ils nous ont fouillés l’un après l’autre, ils nous ont pris en photo l’un après l’autre. Ils nous ont traités de pédés. Ils m’ont traité de con. Ils ont dit : “Eux, c’est des nègres, ils ne sont pas éduqués, ils ne savent pas s’habiller.” »
Les policiers menottent les adolescents, qui n’opposent aucune résistance. Commence une longue attente inconfortable de deux heures, en pleine rue. Arrive une voiture de la police municipale. Les policiers de la BAC font monter un des adolescents dans leur voiture, les trois autres dans celle de la police municipale. « Il y avait un policier à l’arrière qui gonflait les bras, et ils nous ont entassés à trois à côté de lui, raconte Yassine. Il n’y avait pas assez de place. Ils ont dit : “C’est pas grave, ils vont s’asseoir les uns sur les autres puisqu’ils sont pédés.” J’ai protesté, et j’ai pris une gifle du conducteur. »
« Ils accéléraient exprès sur les dos d’âne. On était menottés dans le dos, menottes serrées très fort, j’ai eu mal aux poignets plusieurs jours. Ils nous ont traités comme des adultes », complète Sadi.
« Le premier qui parle, je lui mets des gifles », lance un des policiers de la BAC, qui lance à Raphaël : « Toi, t’es mort. » « On était morts d’inquiétude, on ne savait pas où ils étaient et on n’arrivait pas à les joindre sur leur téléphone », témoigne la maman de Sadi.
Les policiers finissent par notifier leur garde à vue à trois des mineurs et préviennent leurs parents, sans aucune indication sur les faits dont ils sont soupçonnés. « J’étais en larmes au téléphone. Un policier m’a seulement dit : “C’est mal barré. Vous aurez des nouvelles demain soir” », raconte la maman de Raphaël.
« Ils nous ont traités comme des moins que rien, abonde la maman de Sadi. Ils m’ont dit : “Vol en réunion avec arme blanche. Votre fils, c’est l’auteur principal, c’est établi. Il a été identifié par la victime, il y a la vidéosurveillance et des témoins.” »
Au cours de la garde à vue, les adolescents comprennent qu’on les soupçonne d’un vol à l’arraché commis la veille de leur arrestation, sur un homme ou sur une femme, selon les versions. « Ils ont dit à son père qu’ils avaient volé un collier pour acheter de la drogue, en ajoutant : même plus la peine de penser à devenir policier ! », raconte la mère de Raphaël. Les jeunes expliquent qu’ils n’ont rien fait et qu’ils ne sont pas sortis de chez eux le lundi 25. Ils sont entassés à trois dans une cellule pour la nuit, où un quatrième adolescent les rejoindra plus tard. Ils n’arrivent ni à obtenir de l’eau ni à aller aux toilettes.
Quatre plaintes pour des faits de « détention arbitraire », « injures à caractère raciste et homophobe », « discriminations », et « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique » ont été adressées lundi 8 juin au parquet de Créteil par Jérôme Karsenti, l’avocat des familles. Une double enquête administrative (l’une sur les injures racistes, l’autre sur les droits en garde à vue) a déjà été ouverte par la préfecture du Val-de-Marne, alertée par la députée Mathilde Panot (LFI).
https://www.mediapart.fr/journal/france/100620/insultes-racistes-et-homophobes-garde... https://www.mediapart.fr/journal/france/100620/insultes-racistes-et-homophobes-garde...
Tout débute il y a deux semaines, mardi 26 mai en début d’après-midi, vers 14 h 40, dans un quartier tranquille de Vitry. Raphaël, Sadi, Yassine et Lucas*, quatre copains de collège, se retrouvent pour la première fois depuis le début du confinement. « Ils ont été acheter du soda et des chips au supermarché, et ils discutaient en bas de chez Yassine, raconte la maman de Sadi. Ce sont des bons gamins. Ils ne fument pas, ne font pas de bêtises, et ce sont de bons élèves, ils passent tous en seconde générale. » Ce sera leur premier contact avec la police.
Quatre policiers en civil portant un brassard surgissent et contrôlent le groupe d’adolescents. On apprendra plus tard qu’ils appartiennent à la BAC (brigade anti-criminalité) du Kremlin-Bicêtre. Apeurés, les mineurs sont interrogés sur leur identité et sur leurs activités de la veille. « Ils nous collent contre le mur, ils commencent à nous fouiller et à regarder dans nos téléphones, raconte Raphaël. On était en stress. Ils ont commencé à mal parler à mes potes. Ils ont dit en parlant de Yassine : “Lui, c’est un Africain, ça se voit.” Ils nous demandent ce qu’on fait, on répond qu’on est sortis ensemble, et là ils nous disent : “Vous êtes gays !” »
Son copain Sadi confirme. « On ne savait pas ce qu’ils voulaient. Ils nous ont fouillés l’un après l’autre, ils nous ont pris en photo l’un après l’autre. Ils nous ont traités de pédés. Ils m’ont traité de con. Ils ont dit : “Eux, c’est des nègres, ils ne sont pas éduqués, ils ne savent pas s’habiller.” »
Les policiers menottent les adolescents, qui n’opposent aucune résistance. Commence une longue attente inconfortable de deux heures, en pleine rue. Arrive une voiture de la police municipale. Les policiers de la BAC font monter un des adolescents dans leur voiture, les trois autres dans celle de la police municipale. « Il y avait un policier à l’arrière qui gonflait les bras, et ils nous ont entassés à trois à côté de lui, raconte Yassine. Il n’y avait pas assez de place. Ils ont dit : “C’est pas grave, ils vont s’asseoir les uns sur les autres puisqu’ils sont pédés.” J’ai protesté, et j’ai pris une gifle du conducteur. »
« Ils accéléraient exprès sur les dos d’âne. On était menottés dans le dos, menottes serrées très fort, j’ai eu mal aux poignets plusieurs jours. Ils nous ont traités comme des adultes », complète Sadi.
Des parents des adolescents de Vitry-sur-Seine malmenés par la BAC. © M.D.
Les mineurs sont emmenés au commissariat du Kremlin-Bicêtre, sans que leurs parents soient prévenus. « Ils
nous disaient : “Vous allez voir, vous allez morfler.” On était en
panique, on avait peur pour nos parents. On ne savait pas pourquoi on
était là, raconte Raphaël. Je leur dis qu’on n’a rien fait, que
moi je veux être policier plus tard. Ils me répondent : “Toi, t’es dans
la merde. T’as intérêt à coopérer.” C’est de la maltraitance. »
Les quatre adolescents attendent une heure sur un banc. Yassine est remis en liberté à 19 h 10.« Le premier qui parle, je lui mets des gifles », lance un des policiers de la BAC, qui lance à Raphaël : « Toi, t’es mort. » « On était morts d’inquiétude, on ne savait pas où ils étaient et on n’arrivait pas à les joindre sur leur téléphone », témoigne la maman de Sadi.
Les policiers finissent par notifier leur garde à vue à trois des mineurs et préviennent leurs parents, sans aucune indication sur les faits dont ils sont soupçonnés. « J’étais en larmes au téléphone. Un policier m’a seulement dit : “C’est mal barré. Vous aurez des nouvelles demain soir” », raconte la maman de Raphaël.
« Ils nous ont traités comme des moins que rien, abonde la maman de Sadi. Ils m’ont dit : “Vol en réunion avec arme blanche. Votre fils, c’est l’auteur principal, c’est établi. Il a été identifié par la victime, il y a la vidéosurveillance et des témoins.” »
Au cours de la garde à vue, les adolescents comprennent qu’on les soupçonne d’un vol à l’arraché commis la veille de leur arrestation, sur un homme ou sur une femme, selon les versions. « Ils ont dit à son père qu’ils avaient volé un collier pour acheter de la drogue, en ajoutant : même plus la peine de penser à devenir policier ! », raconte la mère de Raphaël. Les jeunes expliquent qu’ils n’ont rien fait et qu’ils ne sont pas sortis de chez eux le lundi 25. Ils sont entassés à trois dans une cellule pour la nuit, où un quatrième adolescent les rejoindra plus tard. Ils n’arrivent ni à obtenir de l’eau ni à aller aux toilettes.
La BAC intimide le jeune qui a porté plainte
De retour chez lui, Yassine alerte ses parents et ceux de ses copains. Les parents de Sadi appellent la députée (LFI) de la circonscription, Mathilde Panot, qu’ils connaissent. « J’ai appelé partout, le commissariat, la préfecture, et des avocats », témoigne Mathilde Panot. À une heure du matin, les parents et la députée se rendent au commissariat du Kremlin-Bicêtre.« Ils ne voulaient même pas nous donner le nom de l’avocat commis d’office qui avait vu les jeunes, raconte la députée. Ils ont menti aux parents en disant que les enfants avaient vu un médecin. Et quand on a signalé que Raphaël faisait des crises de spasmophilie, ils ont paniqué et l’ont envoyé à l’hôpital pour un examen. » Mathilde Panot alerte le directeur de cabinet du préfet du Val-de-Marne et le commissaire du Kremlin-Bicêtre sur toutes ces anomalies.
Reçue mercredi 27 au matin par le commissaire, la députée apprend qu’une plainte pour vol à l’arraché cible deux personnes d’origine maghrébine et un Noir. Sauf que le suspect au T-shirt orange cité dans la plainte mesure 1,60 mètre, alors que le jeune qui a été arrêté avec un T-shirt orange toise à 1,87 mètre. Il n’est plus question de vidéosurveillance, il ne reste qu’un témoin, et les adolescents auraient été reconnus par le plaignant sur des photos. Quand ? Comment ?
Les perquisitions effectuées à leur domicile ne donnent rien et les trois jeunes finissent par être libérés mercredi 27 au soir. Rien n’est retenu contre eux. La téléphonie les a mis hors de cause, apprendra plus tard Mathilde Panot. Les jeunes et les parents ne reçoivent aucune excuse.
Le commissariat du Kremlin-Bicêtre. © DR
La
maman de Yassine porte plainte mercredi 27 mai au commissariat de
Vitry-sur-Seine. Samedi 29 dans l’après-midi, les policiers de la BAC
tombent à nouveau sur son fils et ses copains dans le parc Émile-Zola,
entre Vitry et Villejuif. Ils prennent Yassine à part et demandent aux
autres de partir s’ils ne veulent pas prendre une amende. « On est restés pas loin et je les ai filmés », raconte Sadi, en montrant les images.
Le petit Yassine est entouré de plusieurs policiers de la BAC et de la police municipale. La scène dure dix minutes. « Ils m’ont reconnu. Ils m’ont dit : “C’est toi qui nous a plaintés (sic). Pourquoi tu nous aimes pas ?”, raconte Yassine. J’ai
dit : “Vous nous avez fait un mauvais contrôle, vous nous avez pas
laissés prévenir nos parents, et un collègue à vous m’a insulté.” Le
policier qui a un aigle tatoué sur le bras m’a dit : “Si tu veux,
j’enlève ma ceinture et on va régler ça.” » Yassine ajoute qu’il a
été pris à la gorge et par le col par un des policiers et que son
portable a encore été fouillé. De l’intimidation, selon son avocat.Pour Mathilde Panot, « c’est hallucinant qu’on ait besoin d’une élue de la République pour faire respecter des droits et obtenir des informations » : « Rien n’a été respecté dans cette affaire. Si je n’étais pas intervenue, la garde à vue aurait peut-être duré 48 heures. » Pour la députée insoumise, cette affaire est emblématique des contrôles au faciès et du racisme institutionnalisé. « En fait, on explique à ces jeunes qu’ils n’appartiennent pas à la République et qu’ils sont indésirables dans l’espace public. »
Raphaël, pour sa part, veut toujours devenir policier : « Parce que, même si c’est grave, ça m’a montré ce qu’il ne faut pas faire. » « J’ai la haine, dit l’adolescent, en repensant à ceux de la BAC qui l’ont arrêté. J’aimerais bien les voir, les regarder dans les yeux et leur dire : “Vous n’avez pas honte ? Vous représentez mal la police. »
PS: Sollicité à nouveau mercredi 10 juin par Mediapart, le parquet de Créteil annonce avoir reçu les quatre plaintes le matin même, avoir ouvert une enquête préliminaire, et avoir décidé de désigner l'IGPN pour l'exécuter.
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à l’adresse enquete@mediapart.fr.
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