Pauvreté : l’inflation a porté un coup fatal aux Marocains

L’inflation a eu un effet dévastateur au Maroc. Le dernier rapport publié par l’ONG Oxfam signale une augmentation de la pauvreté et de la vulnérabilité qui ont touché environ 3,2 millions de personnes supplémentaires, soit 1,15 million de personnes dans la pauvreté et 2,05 millions dans la vulnérabilité. L’ONG estime que près de huit années de progrès vers l’éradication de la pareté et de la vulnérabilité ont été anéanties. Détails.

Du jamais vu depuis 40 ans ! L’ONG internationale Oxfam, à travers son antenne marocaine, tire la sonnette d’alarme concernant la pauvreté dans le Royaume. Le dernier rapport d’Oxfam Maroc sur les champions de l’inflation est assourdissant. Selon ses auteurs, «Environ 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions). On estime, à cet égard, que près de huit ans de progrès vers l’élimination de la pauvreté et de la vulnérabilité ont été perdus : en 2022, le Maroc se retrouve avec le niveau de pauvreté et de la vulnérabilité de 2014», peut-on lire.

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Inégalités croissantes

Le document réalisé par la représentation marocaine de l’ONG internationale Oxfam met en lumière les inégalités socioéconomiques exacerbées par la crise inflationniste au Maroc. Il pointe du doigt les impacts néfastes sur les populations vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes.

Les auteurs du rapport analysent en premier lieu les causes profondes de cette crise inflationniste, attribuée principalement à la reprise économique post-pandémie de la Covid-19. Ils expliquent que pendant les périodes de confinement, l’accumulation d’épargnes a été suivie d’une demande excédentaire par rapport à l’offre lors de la réouverture des commerces, entraînant une hausse des prix. La perturbation des routes commerciales due à la crise sanitaire a également eu un impact sur le coût des transports, tandis que l’augmentation des prix de l’énergie a ajouté à la pression inflationniste, aggravée ultérieurement par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Le rapport souligne aussi le rôle prédateur des grandes entreprises, opérant dans des marchés oligopolistiques ou de niche, qui ont largement profité de la crise inflationniste pour augmenter indûment leurs marges. À titre d’exemple, le marché d’importation et de distribution des produits pétroliers est cité comme un exemple emblématique, récemment sanctionné par le Conseil de la concurrence.

Dans ce contexte de tensions inflationnistes, Oxfam révèle un recul significatif de 7,15% des dépenses moyennes des ménages entre fin 2019 et début 2023. La dépense moyenne annuelle par habitant a chuté de 20.400 DH à 18.940 DH. Ces chiffres traduisent une perte moyenne de 1.460 DH par individu au cours des trois dernières années, avec l’alimentation représentant toujours plus d’un tiers des dépenses, maintenant stable à 36,4% du budget total.

Cependant, le rapport insiste sur le fait que cette inflation a frappé de plein fouet les ménages pauvres, vulnérables et ruraux. En conséquence, 3,2 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvées en dessous du seuil de pauvreté, ramenant les statistiques à celles enregistrées en 2014. Oxfam souligne que huit ans de lutte contre la pauvreté ont ainsi été effacés, mettant en avant le rôle des subventions gouvernementales, telles que les 42 milliards de DH (MMDH) pour le gaz butane, le sucre et la farine, les 5 MMDH pour l’ONEE, et les 4,4 MMDH pour les professionnels du secteur des transports.

Cependant, l’ONG nuance l’impact des subventions, affirmant qu’elles ont principalement profité aux plus riches. La politique budgétaire du gouvernement, débridée par la politique monétaire restrictive de Bank Al Maghrib (BAM), qui a resserré trois fois le taux d’intérêt directeur pour le ramener à 3%, n’a pas été suffisante pour stabiliser les prix des produits essentiels dans le panier de consommation des ménages.

Le rapport souligne que malgré le plan de relance gouvernemental et les mesures prises par la Banque centrale, la confiance des agents économiques n’est pas rétablie, créant un climat d’incertitude persistant. Les auteurs estiment que la sortie de cette crise inflationniste reste compromise, notamment en raison de la forte chute de la croissance réelle du PIB, passant de 7,9% en 2021 à 1,2% en 2022. Le déficit de la balance courante a également augmenté de 2,3% à 4,1% du PIB, selon le rapport.

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Juguler l’inflation à tout prix

La Banque mondiale prévoit une baisse de la croissance à 3,5% en 2023, principalement attribuable à la détérioration du secteur agricole due à la sécheresse. En moyenne, le Haut Commissariat au plan (HCP) prévoit une hausse des prix de l’ordre de 5% par an depuis 2021, une situation qualifiée de «jamais vue depuis 40 ans» par Oxfam Maroc. Les effets combinés de la pandémie de la Covid-19 et de l’inflation auraient entraîné un recul du niveau de vie par personne de 7,2% au niveau national entre 2019 et 2022, de 6,6% à 23.000 DH en milieu urbain, et de 8,9% en milieu rural. Par catégorie sociale, le niveau de vie par personne aurait reculé de 8% pour les ménages les moins aisés, de 6,6% pour les ménages intermédiaires et de 7,5% pour les ménages les plus aisés.

Oxfam Maroc conclut son rapport en soulignant que l’économie marocaine se trouve à un carrefour critique, où la stabilité et la maîtrise de l’inflation sont nécessaires pour garantir une croissance économique durable. L’ONG émet plusieurs recommandations, notamment le renforcement de la concurrence, l’indexation des bas salaires sur le pouvoir d’achat, et l’allégement de la pression fiscale sur les classes moyennes et les classes vulnérables.

Malgré ces sombres perspectives, une lueur d’espoir est décelée par Oxfam Maroc, notant une tendance à la baisse de l’inflation. Alors qu’elle avait atteint 10% il y a un an, elle aurait chuté à 4,7% au troisième trimestre 2023, après 6,8% au deuxième trimestre 2023. Ce recul de l’inflation est principalement attribué à la forte baisse des prix de l’énergie.

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