vendredi 26 septembre 2025

Au Maroc, la colère monte sur l’accès à la santé et à l’eau

Jean-Baptiste François, La Croix, 25/9/2025


Le barrage d’Abdelmoumen, à environ 60 kilomètres de la ville côtière marocaine d’Agadir, le 23 octobre 2020. / FADEL SENNA / AFP

Tandis que des marches ont eu lieu depuis cet été en milieu rural sur l’accès à l’eau et à la santé, la ville d’Agadir est secouée par un mouvement de protestation après la mort de plusieurs femmes en maternité. Le signe d’un pays tiraillé par d’importantes fractures territoriales.

Un climat de fronde pèse sur les services publics marocains. Depuis cet été, le centre du Royaume a vu plusieurs marches spontanées partir de petits villages vers les chefs-lieux de leur province, afin de réclamer l’accès aux services essentiels tels que l’eau, la santé, ou encore l’éducation. Et voilà que la contestation gagne Agadir, plus au sud, sur fond de tragiques prises en charge hospitalières. La ville ne décolère plus, depuis la mort de six jeunes femmes lors d’une césarienne. Dimanche 28 septembre, une nouvelle manifestation est prévue devant l’hôpital régional Hassan II, sous la houlette de la « Coordination des habitants du grand Agadir pour le droit à la santé ».

Sous-investissement chronique

Alors que le mouvement projette de s’étendre en un « mouvement national unifié », les médias se sont emparés du sujet. Pour Ali Lofti, expert en santé publique interrogé par MarocHebdo, de drame d’Agadir est, à ses yeux, le « symptôme d’une défaillance systémique », et doit « servir d’électrochoc ». Il invite les décideurs publics à porter la dépense de santé du pays à 8,2 % du budget – la moyenne internationale –, alors que le royaume reste en deçà, à 6 %. Un sous-investissement qui peut apparaître comme choquant aux yeux d’une partie de la population, comparé aux sommes colossales englouties dans les chantiers d’infrastructures sportives en vue de la Coupe d’Afrique des nations de décembre prochain, et de la Coupe du monde de football en 2030.
Dans la justification de son « Plan santé 2025 », le Maroc admet bien un retard à rattraper, malgré quelques progrès, par exemple dans la prise en charge du diabète. Le nombre de consultations curatives par an et par personne, de 0,6 en moyenne dans le pays, est très loin derrière le chiffre enregistré en Tunisie (2,7), sans parler de celui de la France (6,4).
L’encadrement médical chute encore davantage dans le milieu rural, qui concentre 72 % de la pauvreté. L’OMS estime que les effectifs de soignants (1,5 soignant pour 1000 habitants) devraient être portés à 4,45 pour arriver à un niveau de couverture convenable. Dans son Plan santé, le ministre de la santé Anass Doukkali identifie bien les tensions que cela peut causer : « La qualité des services est une problématique majeure qui non seulement entrave l’accès aux soins mais complique en plus la relation avec la population, dont les attentes sont vives, pressantes et en constante hausse ».

Stress hydrique

En juillet dernier dans le Haut Atlas, la marche rurale de protestation vers le chef-lieu d’Ait Bouguemez concernait autant la santé que l’accès à l’eau, très problématique dans la région. Là aussi, les indicateurs du pays sont dans le rouge. « Près de 70 % des ressources mobilisables se concentrent dans à peine 15 % du territoire, principalement dans les bassins du Nord, qui bénéficie d’un climat plus favorable », souligne un rapport « Eau et climat » de l’Institut marocain d’intelligence stratégique publié en juin dernier.
Malgré une amélioration de la pluviométrie et du taux de remplissage des barrages, porté à 40 % en moyenne cette année, certaines retenues n’ont presque plus de réserve, comme à Al Massira, où le deuxième plus grand ouvrage national ne dépasse pas les 5 %. Selon les données officielles de l’ONU qui mesure les Objectifs de développement durable (ODD), seuls 47 % des habitants en milieu rural ont accès chez eux à une eau du robinet potable, contre 90 % en ville. La scolarisation est, elle aussi, un sujet de grogne. Si le taux est élevé en primaire dans les campagnes, il connaît un décrochage au niveau du collège.
Cette pression accrue sur les services publics intervient un an avant les élections législatives prévues en septembre 2026. Le roi Mohammed VI avait pointé du doigt l’énorme défi, le 29 juillet dernier, à l’occasion du discours du trône. « Il n’y a pas de place, ni aujourd’hui ni demain pour un Maroc à deux vitesses », avait-il déclaré, invitant à « véritable sursaut ». De retour à la vie publique après un long silence, l’ex-épouse du roi Mohammed VI, Lalla Salma du Maroc est allée visiter un hôpital à Fès le 16 septembre dernier, via sa fondation contre le cancer. Des gestes très symboliques qui doivent maintenant être suivis d’actes.

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