Tandis
que des marches ont eu lieu depuis cet été en milieu rural sur l’accès à
l’eau et à la santé, la ville d’Agadir est secouée par un mouvement de
protestation après la mort de plusieurs femmes en maternité. Le signe
d’un pays tiraillé par d’importantes fractures territoriales.
Un
climat de fronde pèse sur les services publics marocains. Depuis cet
été, le centre du Royaume a vu plusieurs marches spontanées partir de
petits villages vers les chefs-lieux de leur province, afin de réclamer
l’accès aux services essentiels tels que l’eau, la santé, ou encore
l’éducation. Et voilà que la contestation gagne Agadir, plus au sud, sur
fond de tragiques prises en charge hospitalières. La ville ne décolère
plus, depuis la mort de six jeunes femmes lors d’une césarienne.
Dimanche 28 septembre, une nouvelle manifestation est prévue devant
l’hôpital régional Hassan II, sous la houlette de la « Coordination des habitants du grand Agadir pour le droit à la santé ».
Sous-investissement chronique
Alors que le mouvement projette de s’étendre en un « mouvement national unifié », les médias se sont emparés du sujet. Pour Ali Lofti, expert en santé publique interrogé par MarocHebdo, de drame d’Agadir est, à ses yeux, le « symptôme d’une défaillance systémique », et doit « servir d’électrochoc ».
Il invite les décideurs publics à porter la dépense de santé du pays à
8,2 % du budget – la moyenne internationale –, alors que le royaume
reste en deçà, à 6 %. Un sous-investissement qui peut apparaître comme
choquant aux yeux d’une partie de la population, comparé aux sommes
colossales englouties dans les chantiers d’infrastructures sportives en
vue de la Coupe d’Afrique des nations de décembre prochain, et de la
Coupe du monde de football en 2030.
Dans
la justification de son « Plan santé 2025 », le Maroc admet bien un
retard à rattraper, malgré quelques progrès, par exemple dans la prise
en charge du diabète. Le nombre de consultations curatives par an et par
personne, de 0,6 en moyenne dans le pays, est très loin derrière le
chiffre enregistré en Tunisie (2,7), sans parler de celui de la France
(6,4).
L’encadrement
médical chute encore davantage dans le milieu rural, qui concentre 72 %
de la pauvreté. L’OMS estime que les effectifs de soignants (1,5
soignant pour 1000 habitants) devraient être portés à 4,45 pour arriver à
un niveau de couverture convenable. Dans son Plan santé, le ministre de
la santé Anass Doukkali identifie bien les tensions que cela peut
causer : « La
qualité des services est une problématique majeure qui non seulement
entrave l’accès aux soins mais complique en plus la relation avec la
population, dont les attentes sont vives, pressantes et en constante
hausse ».
Stress hydrique
En
juillet dernier dans le Haut Atlas, la marche rurale de protestation
vers le chef-lieu d’Ait Bouguemez concernait autant la santé que l’accès
à l’eau, très problématique dans la région. Là aussi, les indicateurs
du pays sont dans le rouge. « Près
de 70 % des ressources mobilisables se concentrent dans à peine 15 % du
territoire, principalement dans les bassins du Nord, qui bénéficie d’un
climat plus favorable », souligne un rapport « Eau et climat » de l’Institut marocain d’intelligence stratégique publié en juin dernier.
Malgré
une amélioration de la pluviométrie et du taux de remplissage des
barrages, porté à 40 % en moyenne cette année, certaines retenues n’ont
presque plus de réserve, comme à Al Massira, où le deuxième plus grand
ouvrage national ne dépasse pas les 5 %. Selon les données officielles
de l’ONU qui mesure les Objectifs de développement durable (ODD), seuls
47 % des habitants en milieu rural ont accès chez eux à une eau du
robinet potable, contre 90 % en ville. La scolarisation est, elle aussi,
un sujet de grogne. Si le taux est élevé en primaire dans les
campagnes, il connaît un décrochage au niveau du collège.
Cette pression accrue sur les services publics intervient un
an avant les élections législatives prévues en septembre 2026. Le roi
Mohammed VI avait pointé du doigt l’énorme défi, le 29 juillet dernier, à
l’occasion du discours du trône. « Il n’y a pas de place, ni aujourd’hui ni demain pour un Maroc à deux vitesses », avait-il déclaré, invitant à « véritable sursaut ». De
retour à la vie publique après un long silence, l’ex-épouse du roi
Mohammed VI, Lalla Salma du Maroc est allée visiter un hôpital à Fès le
16 septembre dernier, via sa fondation contre le cancer. Des gestes très
symboliques qui doivent maintenant être suivis d’actes.
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