Translate Traduire Traducir ترجمة


mardi 14 octobre 2025

Madagascar : 53 ans plus tard, une autre révolution

Cet article est disponible également en anglaisespagnol et portugais (brésilien)

1972–2025, deux générations de révolte. Les pancartes d’hier, les drapeaux pirates d’aujourd’hui : même colère, autre langage.

Pour ceux qui ont l’âge de se souvenir, les années 1960-1970 furent une école du réel : l’odeur des gaz lacrymogènes, les cortèges qui débordent l’itinéraire « autorisé », la certitude joyeuse que rien n’est immuable, et la brutalité de l’instant où l’État lâche ses chiens. À Tana, on disait FRS quand Paris disait CRS : mêmes boucliers, même matraque, même réflexe colonial pour « tenir » les indigènes récalcitrants.

C’est dans cette mémoire que résonne 2025.

Apprendre qu’Andry Rajoelina, putschiste hier, président aujourd’hui, a fini par s’enfuir sous protection étrangère (française) n’a rien d’une surprise : les régimes qui n’écoutent pas finissent par courir, et les parrains d’hier organisent parfois eux-mêmes la sortie de secours quand leur créature devient ingérable. On baptisera cela « transition », « stabilité », « responsabilité internationale ». Les mots changent, la logique demeure : éviter l’embrasement tout en s’assurant que les intérêts bien placés ne perdent pas la main sur l’Île Rouge.

La jeunesse malgache de 2025 ne descend pas seulement pour l’eau coupée et l’électricité rationnée, ni pour le panier de riz devenu luxe hebdomadaire : elle descend avec la mémoire dans le sang.

Ce sont, littéralement, les petits-enfants de la jeunesse qui, en 1972, avait fait tomber Philibert Tsiranana, le Président de l’époque. L’étincelle du mouvement révolutionnaire s’appelait ZWAM pour Zatovo Western Andevo Malagasy, les Jeunes Malgaches amateurs de westerns, ces garçons aux blousons de cuir et aux rêves d’écran large, caricaturés par le pouvoir comme des voyous inhalant la poussière d’un western de pacotille. Le régime les méprisait, et en cela il a commis une erreur fatale : derrière l’imagerie existait une vraie force sociale, une dignité blessée, et la rage de n’être plus les spectateurs de leur propre pays.

Vint ensuite la figure des ZOAM pour Zatovo Orin’Asa Malagasy, les Jeunes chômeurs malgaches, une génération que l’on disait « sans avenir » et qui s’est fabriqué un présent collectif. Les autorités les ont insultés, les qualifiant de « fumeurs de marie-jeanne », de « fauteurs de troubles ». La rue a répondu en renversant l’échafaudage politique.

Cinquante ans plus tard, le décor a changé mais la distribution est la même : une élite qui s’agrippe, des partenaires extérieurs qui prêchent la retenue, une administration qui parle « gestion de crise », et en face des cohortes de vingt ans qui n’ont rien, sinon le nombre, l’intelligence connective, et le mépris du ridicule des puissants.

L’espace de deux générations, les codes visuels sont passés des westerns au manga : drapeaux pirates et chapeaux de paille façon One Piece, clins d’œil mondialisés qui recodent la vieille révolte en feuilleton planétaire. On peut sourire de la grammaire pop mais on aurait tort d’ignorer ce qu’elle porte : une langue commune de l’insubordination, un montage d’images et de chants qui accélère la contagion affective. Les vieux lexiques du pouvoir en place, « provocation », « casseurs », « éléments incontrôlés », glissent comme l’eau sur un K-Way : la foule filme plus vite que les préfectures ne mentent.

On dira qu’il y a eu des pillages. Il y en a toujours. Ils offrent au pouvoir le contrechamp moral dont il a besoin : l’émeute, c’est sale ; la boutique saccagée, c’est tangible ; le visage tuméfié d’un adolescent, on le verra moins longtemps. Mais la ligne de force n’est pas là. Elle tient à un basculement simple : l’armée ne tire plus.

En 1972, Tsiranana, usé et malade, remit les clefs à Ramanantsoa, l’uniforme étant le seul médiateur encore capable d’éteindre l’incendie.

En 2025, c’est une mutinerie qui a donné l’axe : des unités refusent de « faire le sale boulot », d’autres sortent des casernes, certains encadrent même les cortèges. Quand le bras armé se dérobe, le verbe présidentiel perd sa verticalité. Rajoelina a cru, jusqu’au bout, qu’on gouverne en « gérant la communication », en remplaçant un gouvernement comme on change un fusible. La panne n’était pas un court-circuit ; c’était le réseau tout entier.

L’exfiltration : le dernier geste du Parrain français

Reste la France, spectre obstiné. Elle ne se mêle pas, dit-elle. Elle « facilite ». Il n’y aura « pas d’intervention »… mais seulement un avion, un couloir aérien, une discrétion diplomatique et des éléments de langage sur la nécessité du calme. Les mêmes mains qui ont si longtemps griffé l’île de leurs concessions minières et de leurs coopérants sécuritaires assurent qu’elles n’y touchent plus. Peut-être ? Peut-être pas ?

Lire la suite


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire