Khalid Lyamlahy, ORIENTXXI, 25/10/2025
Le hasard du calendrier a fait que lorsque les manifestations de la génération Z ont éclaté au Maroc, j’étais en train de finaliser la préparation de deux cours pour la rentrée d’automne 2025 à l’Université de Chicago. Le premier concerne la littérature carcérale qui a connu son essor dans le pays après 1999 et la fin des « années de plomb » ; le second explore l’héritage de la sociologue et féministe marocaine Fatima Mernissi. Heureuse coïncidence ou invitation à penser les leçons politiques d’une génération marocaine à l’autre ?
Malgré la distance, les images des arrestations des manifestants pacifiques m’ont causé beaucoup de peine. J’ai vu des jeunes brutalement appréhendés, des entretiens subitement interrompus, des corps malmenés, soulevés de force et poussés à l’intérieur des fourgons. Il y avait dans ces images quelque chose de profondément humiliant. J’avais l’impression que chaque scène d’arrestation, avec son absurdité et sa violence, mettait le doigt sur l’une des blessures les plus profondes du Maroc contemporain. Chaque image ravivait une douleur insoutenable, une peur sans nom, celle du risque de ne plus reconnaître le visage de son pays, ou du moins ce qu’on voulait en retenir. Dans les notes de mon premier cours, les termes « équité » et « réconciliation », à jamais associés à la parenthèse enchantée du début des années 2000, mais profondément repensés depuis les soulèvements de 2011 et le Hirak du Rif en 2016-2017, étaient en train de vaciller sous mes yeux.
Se regarder dans le miroir
Après le choc des images vient le temps de la réflexion. Perplexe, j’ai commencé par m’avouer que je n’avais jamais entendu parler de la plateforme Discord ayant servi d’espace d’organisation et de communication pour les manifestants. Même ma connaissance des découpages démographiques à l’origine des appellations générationnelles était pour le moins approximative. Fallait-il voir dans la lettre « Z » la culmination de notre alphabet politique commun, ou la signature d’une nouvelle justice populaire, prête à sauver notre rêve d’égalité ? J’ai contourné ces questions en portant mon regard sur une image qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux : un jeune manifestant enfermé dans un fourgon, le coude posé calmement sur le rebord de la vitre, le regard empreint d’un mélange d’assurance, d’attente et de lumière. Tout était là, contenu dans ce regard intemporel narguant la répression : la certitude d’une jeunesse marocaine déterminée à se faire entendre.




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