mercredi 5 novembre 2025

Sahara occidental : Le ministre algérien des AE fait d’autres confidences, ça ne plaira pas à Rabat

 


Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a été très pédagogue le 2 novembre 2025, après le vote du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara occidental. Le chef de la diplomatie algérienne avait expliqué pourquoi le triomphalisme marocain autour de la résolution américaine était largement exagéré et qu’on est passé à côté du rendez-vous de l’Histoire. Il est revenu à la charge sur la chaîne publique algérienne AL24 News, dimanche dernier dans la soirée. Cette fois le ton est plus incisif et l’argumentaire plus détonnant. Une sortie coup de poing qui ne plaira pas à Rabat…

Attaf a asséné que le «plan d’autonomie» sous «souveraineté marocaine» brandi par le royaume depuis 2007 comme le seul destin possible pour les Sahraouis n’a pas l’épaisseur et la solidité que lui prête Rabat. Ledit «plan» ne comporte que «quatre pages légères et un paragraphe», s’est gaussé le ministre algérien en exposant les feuilles…

«Ça ne peut pas être décemment appelé un plan. Il n’y a absolument aucun contenu politique, aucun contenu juridique. Ce sont des pétitions de principe, des affirmations d’intention», a-t-il ajouté.

Mises à part les remarques sur la forme, ce document censé régenter le Sahara occidental a été présenté aux 193 États membres de la communauté internationale mais on a oublié les premiers concernés, les Sahraouis. «Il n’a jamais été soumis aux Sahraouis, jamais», a glissé le chef de la diplomatie algérienne.

Il a lâché que le texte «manque tellement de consistance» et de «substance» qu’aucun des quatre représentants personnels du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental «ne l’a estimé suffisamment sérieux pour le soumettre à discussion (…) Il n’a jamais été soumis à discussion et tous les envoyés personnels qui se sont succédé ces dernières décennies ont rapidement vu que ce n’était pas sérieux», a martelé Attaf.

Lors des deux réunions à huis clos du Conseil de sécurité, en avril et octobre 2025, l’émissaire personnel du SG de l’ONU pour le Sahara occidental, Staffan de Mistura, a interpellé directement le représentant du Maroc pour lui signifier ceci : «Votre plan manque de sérieux, nous avons besoin de plus de consistance, nous avons besoin de plus de substance pour porter un jugement parce que, tel quel, il ne représente pas une base sérieuse de discussion», a déballé le ministre.

Puis il a fait une confidence sur les motivations profondes des autorités marocaines derrière ce plan proposé par le roi Mohammed VI en 2007. «Ce soi-disant plan d’autonomie n’a jamais été conçu par le royaume du Maroc comme la base d’une solution possible au conflit du Sahara occidental. Il a été conçu pour gagner du temps. Il a été conçu pour imposer un fait accompli. Et pour essayer quand même de le démarcher et d’obtenir des ralliements à ce plan»…

C’est «la véritable raison d’être de ce plan», insiste le chef de la diplomatie algérienne. Quant au fait de savoir si ce plan est à même de trancher définitivement le contentieux vieux de 50 ans, Attaf douche l’euphorie de Rabat en concluant en ces termes : «Et je peux vous dire qu’il n’est pas considéré comme l’ultima ratio en matière de règlement pacifique de la question du Sahara occidental».

Sahara occidental : Les révélations d’Ahmed Attaf, les Marocains qui fêtent « la victoire » ignoraient ça

Qu’est-ce qui s’est réellement le 31 octobre 2025 au Conseil de sécurité (CS) de l’ONU à propos du Sahara occidental ? Sur quoi exactement les 11 membres du CS ont voté, qu’est-ce que ça implique pour Rabat, les indépendantistes sahraouis et leur principal soutien, l’Algérie ? Qu’est-ce qui explique que les Marocains aient considéré le 31 octobre comme une victoire historique, au point de la célébrer dans la rue ?

Première remarque : Le texte de la résolution américaine été libellé au conditionnel. Il est dit que le plan d’autonomie marocain pourrait être…, etc. Tout le document est présenté ainsi, cela signifie clairement que la proposition de Rabat n’est pas l’alpha et l’oméga, que d’autres pistes sont envisageables. Ça c’est dans la forme et en l’occurrence il est déterminant. Et puis il y a le fond, sur lequel est revenu le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf.

Il a livré des détails sur le déroulement du vote et a expliqué pourquoi Alger a refusé d’y participer. De prime abord le chef de la diplomatie algérienne a accusé le Maroc d’avoir tenté d’«opérer un passage en force sans précédent» sur le dossier du Sahara occidental. Attaf a rappelé que le Conseil de sécurité organisé deux sessions annuelles sur ce contentieux : la première en avril, pour jauger le travail de la Minurso et la seconde en octobre pour renouveler le mandat de la mission onusienne.

«Le Maroc voulait faire passer trois idées qui lui tiennent particulièrement à cœur (…) La première est le démantèlement de la Minurso ou la transformation radicale de sa mission, la deuxième est d’imposer le plan d’autonomie comme solution unique et exclusive au problème du Sahara occidental et la troisième est de tuer définitivement l’idée d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental. C’est cela qui a été à l’origine de cet engouement particulier que nous avons perçu cette année autour du Sahara occidental», a dit le ministre algérien.

Au sujet de la résolution votée par le CS, Attaf propose de se référer aux buts du Maroc qui étaient consignés dans le projet de résolution originel introduit par l’administration de Donald Trump. Cette mouture mentionnait la limitation du mandat de la Minurso à «trois mois» au lieu d’une année…

«Ensuite, on procéderait soit à son démantèlement ou à transformer son mandat en soutien à la mise en œuvre du plan d’autonomie comme l’a souhaité le Maroc. C’est le premier élément de déséquilibre. Deuxièmement, le plan d’autonomie marocain était considéré comme le cadre exclusif et unique pour le règlement de la question du Sahara occidental. Le droit à l’autodétermination, lui-même, était inséré dans le cadre du plan d’autonomie», a précisé le chef de la diplomatie algérienne.

Mais dans la résolution adoptée, le principe de souveraineté marocaine sur le Sahara occidental que Rabat voulait graver sur le marbre a été «expurgé (…) Il n’y aucune référence à la souveraineté marocaine, ni à l’État marocain» dans le texte final, a martelé Attaf.

«Troisièmement, le plan d’autonomie n’est plus le cadre exclusif. Le champ a été ouvert à d’autres idées et d’autres plans alternatifs. Le droit à l’autodétermination a été découplé par rapport au plan d’autonomie. Il doit s’exercer conformément à la légalité internationale. Quatrièmement, la Minurso que le Maroc voulait démanteler ou transformer a vu son mandat prorogé d’une année», a-t-il ajouté.

Autre révélation de taille : «l’Algérie était à deux doigts de voter pour la résolution» adoptée vendredi sur le Sahara occidental. Sauf que «dans la nuit précédant le vote, nous avons demandé de supprimer une disposition relative à la souveraineté marocaine dans le préambule de la résolution, et on voterait pour le texte. Elle n’a pas été enlevée. C’est pour cela que l’Algérie n’a pas participé au vote», a confié Attaf…

Le ministre algérien corrobore ainsi les confidences faites à TSA par une source diplomatique algérienne. Donc on est passé tout près d’un événement historique, encore plus que la « victoire » claironnée par Rabat : l’Algérie et le Maroc auraient pu se retrouver autour du même texte, ce qui aurait très certainement fait avancer non seulement l’épineux dossier sahraoui mais en plus aurait aidé à résoudre les autres contentieux lourds entre les deux pays.

Pour rappel les deux voisins n’ont rompu leurs liens diplomatiques qu’en août 2021 alors que le problème sahraoui est vieux de 50 ans. C’est bien la preuve que même si les belligérants avaient accordé leurs violons sur le territoire âprement disputé ça n’occulterait pas les autres différends. Il faut donc en revenir à la main qu’a tendue le monarque marocain, Mohammed VI, au président algérien, Abdelmadjid Tebboune.

Au passage on remarquera que le roi du Maroc a été moins exubérant que son ambassadeur à l’ONU le jour du vote. Alger a certainement apprécié la sobriété et la retenue du palais royal après le dit triomphe aux Nations unies. Ce n’est pas la première fois que le souverain marocain fait solennellement un pas en direction d’Alger, mais le moins qu’on puisse dire est que Mohammed VI n’a pas encore trouvé la potion magique pour dégeler Alger.

Ce qui est certain c’est que Rabat a bien saisi la complexité de la situation et la délicatesse du sujet, choses qui ont complètement échappé à l’Envoyé spécial du président américain au Moyen-Orient, Steven Charles Witkoff, et son idée saugrenue d’arracher la paix entre l’Algérie et le Maroc en à peine 60 jours. Même si tout le monde aimerait qu’il réussisse pour que le Grand Maghreb arabe, région la moins intégrée du monde, ait enfin un destin au niveau de son énorme potentiel économique.

 

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