dimanche 14 décembre 2025

Fès : quand les “villes sans bidonvilles” deviennent des cimetières urbains

Solidarité Maroc, 14/12/2025


Négligences meurtrières, responsabilités diluées et droit à la vie bafoué

La nuit du drame restera gravée dans la mémoire collective. À Fès, capitale spirituelle du Royaume, deux immeubles se sont effondrés dans l’obscurité et le froid, fauchant des vies entières et laissant derrière eux des familles décimées, des survivants sans abri et une ville sous le choc.

Cette fois, Fès n’a pas fait la une des médias internationaux pour son festival des musiques sacrées ou son patrimoine millénaire, mais pour une catastrophe humaine d’une violence insoutenable.

Selon les premiers bilans, plus d’une vingtaine de personnes ont perdu la vie et plusieurs autres ont été blessées. Le parquet a rapidement ouvert une enquête judiciaire. Mais au-delà de la réaction immédiate, une question centrale s’impose : qui est réellement responsable de ces morts annoncées ?

Un drame loin d’être un accident

Les bâtiments effondrés n’étaient pas situés dans la Médina historique, où les maisons menaçant ruine font l’objet — au moins sur le papier — de programmes de sauvegarde. Il s’agissait d’un ancien bidonville réaménagé dans le cadre du programme national « Villes sans bidonvilles », lancé en 2004 avec l’ambition d’éradiquer l’habitat insalubre au Maroc.

Or, les premières informations font état de constructions fragiles, d’ajouts d’étages non autorisés, et de défaillances structurelles majeures. Autant d’éléments qui pointent vers une accumulation de fautes, de la conception initiale à l’absence de contrôle, en passant par des pratiques spéculatives dangereuses.

Parler d’« accident » serait un abus de langage. Il s’agit bien plus vraisemblablement d’un homicide involontaire collectif, produit d’un système où l’irresponsabilité, la complaisance et parfois la corruption se conjuguent au mépris de la vie humaine.

“Villes sans bidonvilles” : un programme sans audits ni comptes à rendre ?

Sur le papier, le programme « Villes sans bidonvilles » affiche des chiffres impressionnants : plus de 360 000 familles relogées et des dizaines de villes déclarées « sans bidonvilles ». Mais ces statistiques masquent une réalité bien plus inquiétante.

À Fès comme ailleurs, où sont les évaluations indépendantes ?

Où sont les audits de qualité portant sur la solidité des constructions, la conformité aux normes, la salubrité et la sécurité des logements livrés ?

Comment expliquer que des immeubles construits il y a moins de vingt ans s’effondrent comme des châteaux de cartes ?

Le recours massif aux contrats d’auto-construction, censés réduire les coûts, a souvent transféré la responsabilité technique vers des populations précaires, sans accompagnement sérieux, ni contrôle rigoureux. Un modèle qui, dans les faits, expose les habitants à des risques mortels.

Quand le logement devient un instrument de chantage politique

Dans de nombreux cas, les populations issues des bidonvilles constituent un gisement électoral stratégique. La promesse d’un logement, ou la menace de le perdre, devient alors un outil de pression et de marchandage politique.

À l’approche des échéances électorales, ce drame risque de provoquer de fortes turbulences. Mais la question essentielle demeure : combien de vies faudra-t-il encore sacrifier avant que les responsabilités soient clairement établies ?

Limiter l’enquête aux seuls habitants ayant ajouté un étage illégal serait une injustice flagrante. La chaîne des responsabilités est bien plus large :

  • autorités locales et wilaya,
  • municipalité,
  • ministères de tutelle,
  • services d’urbanisme et de contrôle,
  • opérateurs publics et privés impliqués dans le relogement.

Tous ceux qui ont fermé les yeux, validé des projets défaillants ou renoncé à contrôler portent une part de responsabilité.

Corruption, matériaux défectueux et normes bafouées : un cocktail meurtrier

Triche sur les matériaux de construction, non-respect des normes parasismiques, absence de suivi technique, opacité dans la gestion des projets : ces pratiques, largement dénoncées depuis des années, forment un cocktail explosif.

Le drame de Fès n’est pas un cas isolé. Il révèle une crise plus profonde du droit au logement décent, qui est indissociable du droit à la vie.

Dans d’autres pays, l’effondrement d’immeubles entraîne immédiatement des démissions, des inculpations et des poursuites contre les responsables administratifs et politiques. Ici, le risque est grand de voir les responsabilités diluées, les enquêtes enterrées et les victimes réduites à de simples chiffres.

Une exigence de vérité et de justice

Ce qui s’est produit à Fès impose une remise en question radicale :

  • des politiques de relogement,
  • du modèle d’auto-construction,
  • de l’absence de contrôle indépendant,
  • et de l’impunité dont bénéficient trop souvent les décideurs.

Il ne s’agit pas seulement de réparer les dégâts matériels ou d’indemniser les familles endeuillées. Il s’agit de rendre des comptes, de restaurer la confiance et de rappeler une évidence trop souvent oubliée : le logement n’est pas une faveur, c’est un droit. Et la vie humaine n’est pas négociable.

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