
Plus de deux mois après la nuit du 1er octobre à Lqliâa, le rapport de la Commission d’enquête de l’AMDH renverse profondément la version officielle . Au fil de témoignages concordants, d’images analysées et d’observations de terrain, le document met à nu une réalité tout autre : des tirs menés loin de la caserne, parmi…
Le rapport de la Commission d’enquête commence par relever un premier fait fondamental : la soirée du 1er octobre s’est ouverte sur un vide sécuritaire “total et injustifié”, selon ses termes. Les premières manifestations, essentiellement composées de mineurs et de jeunes du quartier, commencent dès 17h30 sur l’avenue principale. Pourtant, aucune patrouille, ni de la police, ni de la gendarmerie, ni des forces auxiliaires n’est visible dans les premières heures. Le rapport souligne : « Les autorités n’ont accompagné ni encadré la manifestation à aucun moment initial, malgré l’annonce préalable et la mobilisation importante de mineurs »
Pour la commission, cette absence d’encadrement a permis une montée progressive des tensions sans aucune médiation. Lorsque certains jeunes se dirigent vers la caserne, ils trouvent un bâtiment sans dispositif externe de protection, alors même que, comme le note le rapport, « il était du devoir des autorités de prendre des mesures préventives pour protéger les installations publiques, notamment la caserne de la gendarmerie ».Cette impréparation totale, jugée “incompréhensible”, a créé les conditions du dérapage qui suivra.
L’“attaque” de la caserne, un récit officiel qui ne tient pas
La deuxième vérité concerne la fameuse “attaque coordonnée” évoquée
par le procureur dans sa communication. Selon le représentant du
ministère public, la caserne aurait été la cible d’un assaut d’environ
200 personnes cherchant à y pénétrer. Le rapport de l’AMDH déconstruit
patiemment cette version. Les vidéos, les témoignages et la visite des
lieux confirment qu’il ne s’agissait pas d’une attaque organisée, mais
d’un attroupement désordonné de quelques dizaines de jeunes. « Seule une dizaine d’individus ont réussi à arracher le portail extérieur, un portail léger et mal fixé
», explique la commission, précisant qu’aucune tentative d’atteindre la
porte intérieure, solide et intacte, n’a été constatée. Les enquêteurs
insistent également sur l’absence de preuves d’une intention de
s’emparer d’armes : « Il n’existe aucun élément indiquant que les jeunes tentaient d’accéder à des armes ou à des installations sensibles »
Les vidéos, largement analysées par la commission, montrent « un
chaos ponctuel, des jets de pierres, et des comportements imprévisibles,
mais rien qui s’apparente à une attaque structurée telle que décrite
par le procureur lors de sa déclaration ». Le rapport rappelle que la
caserne était totalement dépourvue de dispositif de protection externe :
ni cordon de sécurité, ni présence dissuasive. Cette contradiction
majeure entre le récit institutionnel et les faits constitue l’un des
points centraux du document.
La troisième vérité est sans doute la plus accablante : la nature des tirs. Contrairement à ce qu’a soutenu la version officielle comme des tirs de sommation “strictement dirigés vers le ciel” , le rapport de la commission démontre, preuves à l’appui, que les gendarmes ont tiré à hauteur d’homme, parfois en s’éloignant de la caserne. « Les tirs n’ont pas été effectués en l’air : ils étaient horizontaux et visaient des personnes en mouvement, qui s’enfuyaient » , note clairement le rapport.
La meme source explique que : « Les gendarmes commencent par tirer depuis les fenêtres et le toit, avant que 8 à 10 d’entre eux ne sortent et se dispersent dans les rues environnantes ». Le rapport précise : « Les distances de tirs ont atteint entre 100 et 500 mètres du centre, notamment près de la mairie et de la boulangerie Anoual »
« Certaines vidéos montrent un gendarme prendre appui, viser et tirer un geste incompatible avec un tir de sommation », souligne Omar Arbib membre de l’AMDH. Les enquêteurs remarquent également la présence d’impacts dans des murs, des façades de commerces et des habitations.
Le document conclut que l’usage de la force a été “anarchique, disproportionné et non conforme” aux règles d’intervention.
Le rapport établit clairement que les trois jeunes tués cette nuit-là n’étaient ni en train d’attaquer la caserne ni même positionnés dans son périmètre immédiat. Abdessamade Oubalat est touché par balle dans une rue latérale, à environ 120 mètres du bâtiment. La commission rapporte : « La victime a été atteinte dans sa crane dans une zone sans affrontements actifs ». Mohammed Rahali (25 ans), quant à lui, circulait à vélo lorsqu’il reçoit une balle dans le dos : « Le jeune homme a chuté dans une impasse éloignée de plus de 100 mètres du portail de la caserne »
Quand à Abdelhakim Drifidi (36 ans) est atteint dans le dos dans une zone encore plus éloignée au même endroit où Abdelsamade Oubalat a été tué, et au même moment », selon les constatations du rapport. Aucune des trois victimes n’était armée, aucune ne participait à une attaque, et toutes ont été touchées dans des espaces que la commission décrit comme “non menacés”. Les enquêteurs soulignent qu’il est dès lors impossible de considérer ces tirs comme défensifs : « Les lieux où sont tombés les trois victimes infirment catégoriquement l’hypothèse d’une riposte liée à une menace immédiate contre la caserne »
Le rapport recense quatorze blessés par balles réelles, parmi lesquels plusieurs enfants. Les descriptions sont glaçantes. « Un enfant de 12 ans a été atteint au bras par une balle qui a traversé son coude pour ressortir derrière l’épaule » , rapporte la commission, et d’ajouter : « Le garçon de 12 ans a été opéré deux fois après avoir reçu une balle qui s’était logée dans son côté droit au niveau de l’épaule. Il a été rétabli et remis au procureur général près la Cour d’appel pour être libéré. Un autre enfant, âgé de moins de 14 ans et de constitution frêle, a été touché au bras par une balle. « Parmi les autres victimes, Y. Q., un jeune homme d’environ 22 ans résidant à Lqliaa, quartier Jnanat, a été atteint au bas-ventre. Après sa blessure par balle, il souffre désormais d’une paralysie des membres inférieurs », souligne la même source.
Un autre mineur, âgé de treize ans, reçoit une balle dans le torse. Des adolescents, certains encore scolarisés au collège sont opérés d’urgence. Les hôpitaux d’Agadir et d’Inzegane accueillent ces blessés : thorax, cou, sternum, tête, ventre des zones vitales qui démontrent clairement que les tirs n’étaient pas dirigés vers le ciel.
Selon les informations recueillies par l’AMDH, « tous les blessés étaient strictement surveillés à l’hôpital et n’étaient pas accessibles aux visites, tous placés sous détention et mesures de garde à vue ». En effet, , tous les cas convergent vers la même conclusion : « Les zones d’impact des projectiles établissent des tirs dirigés vers des individus et non des tirs de dissuasion »
Enfin, la commission s’intéresse à ce qui s’est passé après les tirs et les conclusions sont tout aussi préoccupantes. Les minutes qui suivent sont marquées par une absence totale d’ambulances. Le rapport note : « Les blessés ont été laissés à terre sans assistance médicale, et les habitants ont dû assurer eux-mêmes les premiers secours »
Des vidéos montrent des jeunes transportant les blessés à moto, sur des planches ou dans des véhicules privés. Les familles, quant à elles, parcourent plusieurs hôpitaux à la recherche de leurs proches, parfois toute la nuit. Dans le cas d’Abdesamade Oubalat, la commission rapporte : « La famille n’a trouvé son nom dans aucun registre hospitalier et ne l’a découvert que plusieurs heures plus tard, lorsqu’il a été retrouvé à la morgue, une fiche marquée d’un X posée sur son ventre. »La commission souligne qu’après les événements, la commission d’enquête d’AMDH a tenté de rencontrer les autorités procureur, gouverneur, services régionaux mais toutes leurs démarches sont restées vaines. Selon le rapport : « Les demandes d’information sont restées sans réponse, à l’exception d’une rencontre avec la gendarmerie, qui n’a fourni aucun détail, ni balistique ni factuel. » Une opacité totale, qui laisse planer un silence lourd sur la vérité…



Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire