Jalil Nouri, actu-maroc, 10/12/2025
Le principe en est acquis au Maroc, très prochainement ; restent les textes de loi et leur adoption : les femmes consacrant tout leur temps aux travaux du foyer et ne disposant d’aucun autre revenu seront rémunérées, comme dans d’autres pays [le salaire domestique au sens propre n'existe dans aucun pays, voir ci-dessous, NDLR SOLIDMAR], car il s’agit bel et bien d’un travail à temps plein, considéré comme producteur de services, non rémunérés à 90 %.
En effet, 90 % des tâches effectuées au sein de tout foyer ne disposant pas d’aide ménagère sont réalisées par des femmes restant au foyer sans activité extérieure. Ces responsabilités couvrent la prise en charge de la famille, l’éducation des enfants, le soutien aux projets familiaux de manière générale, la cuisine, le nettoyage et, en milieu rural, l’aide aux travaux agricoles et à l’élevage au profit du mari, seul à bénéficier directement des revenus. Autant dire que la situation s’apparente à une véritable injustice sociale qu’il devient urgent de corriger.
Dans son intervention devant le Parlement, la ministre en charge de la Famille, de l’Inclusion sociale et de la Solidarité, Naima Benyahia, a estimé que le débat autour de ce projet est désormais incontournable. Une étude sur l’égalité des sexes au travail réalisée par le HCP a en effet conclu à l’existence d’un très large écart entre les conjoints en matière de temps consacré aux travaux domestiques et aux soins familiaux.
Ces constats renforcent la légitimité des revendications appelant à une meilleure reconnaissance et à un traitement plus équitable de la femme, souvent épuisée par ses lourdes charges quotidiennes au foyer, dont la seule récompense demeure trop souvent de rares gestes de reconnaissance morale.
Le consensus semble aujourd’hui établi quant au principe de ce projet de loi. Reste à savoir si le gouvernement parviendra à concrétiser cette avancée avant la fin de son mandat et à l’inscrire comme une réalisation majeure de son bilan social.
Un commentaire de SOLIDMAR
Rémunérer le travail domestique : un débat mondial au cœur des inégalités de genre
Le travail domestique demeure l’un des paradoxes économiques les plus frappants de notre époque : indispensable au fonctionnement des sociétés, il reste pourtant invisible dans les comptabilités nationales et, surtout, non rémunéré. Dans la quasi-totalité des pays, les femmes — principales responsables des tâches ménagères et du care — accomplissent chaque jour un labeur essentiel qui ne reçoit aucune reconnaissance financière. Seules quelques allocations parentales ou aides sociales compensent ponctuellement ce travail, sans pour autant constituer un salaire.
Une réalité mondiale : indispensable mais non payé
Aucun État ne rémunère aujourd’hui directement les femmes au foyer pour le travail de reproduction sociale qu’elles accomplissent dans leur propre foyer : cuisiner, nettoyer, éduquer, soigner, organiser. Ces tâches, pourtant essentielles au bien-être des enfants comme à la disponibilité de la main-d’œuvre productive, sont considérées comme une « responsabilité privée » plutôt que comme un travail social ayant valeur économique.
Certains pays du Nord — comme la Finlande, l’Allemagne ou la Suède — ont mis en place des allocations parentales généreuses ou des congés familiaux bien indemnisés. Ils permettent à un parent de rester temporairement à la maison tout en recevant une compensation financière. Mais ces dispositifs ne sont ni permanents ni calculés sur la base d’une rémunération du travail domestique. Ils fonctionnent comme un aménagement du marché du travail, non comme une reconnaissance de la valeur du travail invisible.
Dans le Sud, notamment en Inde, en Iran ou au Brésil, plusieurs programmes sociaux ciblent les mères de famille, souvent responsables de l’éducation des enfants. Là encore, il s’agit d’aides sociales, rarement de salaires. Dans certains États indiens, le débat a pris une ampleur nationale, avec des propositions de « salaire domestique » pour les femmes au foyer — un débat finalement abandonné faute de consensus politique.
Une exploitation structurelle au fondement du capitalisme
Pour les théoriciennes féministes comme Silvia Federici ou Mariarosa Dalla Costa, l’absence de rémunération du travail domestique n’est pas un oubli : c’est un choix politique structurant. Le capitalisme moderne repose sur une division sexuée du travail où :
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le travail productif, rémunéré, attribué historiquement aux hommes, génère profit et légitimité économique ;
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le travail reproductif, attribué aux femmes, reste gratuit, permettant de réduire le coût de la main-d’œuvre et de maintenir la continuité sociale.
« Si les femmes étaient payées pour tout le travail qu’elles accomplissent gratuitement, affirmait Federici, l’ensemble du système économique actuel s’effondrerait ou devrait être radicalement repensé. »
En d’autres termes, le capitalisme est subventionné par le travail non rémunéré des femmes. Chaque repas, chaque lessive, chaque heure passée à s’occuper d’un enfant ou d’un parent âgé permet à d’autres d’être productifs. Ce travail représente, selon l’OCDE, entre 15 % et 40 % du PIB potentiel d’un pays, s’il était comptabilisé.
Un débat politique : reconnaître ou enfermer ?
La question d’un salaire domestique divise même au sein des mouvements féministes. Ses opposantes craignent que la rémunération du travail domestique renforce la place des femmes au foyer, consolidant ainsi une division du travail inégalitaire.
Ses partisanes affirment au contraire que l’absence de rémunération est elle-même un mécanisme d’enfermement : tant que ce travail reste invisible, les femmes continuent à assumer une charge disproportionnée, sans droits, sans indépendance économique et sans reconnaissance sociale.
Dans les faits, les politiques publiques oscillent entre ces deux pôles : elles compensent, soutiennent, accompagnent — mais ne rémunèrent pas.
L’invisibilité organisée du care
La difficulté politique tient aussi à la nature même du travail domestique : diffus, non standardisé, accompli dans l’espace privé, variable selon les foyers. Il défie les outils classiques de l’État-providence, qui se fondent sur des unités de travail mesurables et salarialisées.
Pourtant, la pandémie de Covid-19 a brutalement mis en lumière l’importance du care, cette économie de l'attention et du soin, longtemps considérée comme une ressource inépuisable et gratuite. Les femmes ont absorbé l’essentiel de la surcharge domestique : école à la maison, soin aux personnes vulnérables, tâches ménagères accrues. Mais cette crise n’a pas débouché sur une réforme durable.
Un chantier inachevé
Aujourd’hui, malgré des décennies de mobilisations féministes, aucune société n’a franchi le pas de reconnaître, par un salaire direct, la valeur économique du travail domestique. Les États préfèrent les aides ponctuelles, les crédits d’impôt, les congés parentaux — autant de dispositifs qui admettent implicitement la valeur du travail de care tout en évitant d’en faire un véritable droit.
Pour aller plus loin
- Le travail invisible des femmes, par Larabi Jaïdi
- Controverse- Rémunérer le travail domestique : une stratégie féministe ?, par Fanny Gallot et Maud Simonet




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