LE FRONT POLISARIO À LA RECHERCHE
D’UN SECOND SOUFFLE
Le 18 juillet 2016,
vingt-huit États africains ont déposé une motion à l’adresse du président de
l’Union africaine Idriss Déby pour réclamer une suspension des activités de la
République arabe sahraouie démocratique au sein de l’organisation. Quinze
d’entre eux étaient pourtant d’anciens soutiens de la cause sahraouie. Cette
manœuvre politique illustre le retour du Maroc sur la scène africaine, et la
diplomatie chérifienne ne compte pas en rester là pour enterrer définitivement
la voix des indépendantistes. Comment, depuis les camps de réfugiés de Tindouf,
le Front Polisario prépare-t-il la riposte ?n2009.
En débarquant à
l’aéroport de Tindouf, le protocole est bien réglé. Des Jeep frappées du logo
de la République arabe sahraouie démocratique (RASD)
attendent les quelques volontaires qui souhaitent se rendre dans les camps de
réfugiés. Sous escorte policière et militaire algérienne, le convoi traverse
cette ville de 47 000 habitants située à 1 400 km
au sud-ouest d’Alger. Quelques kilomètres après les dernières habitations, un
checkpoint en plein désert fait la transition : nous passons à présent
sous l’escorte du Front Polisario qui est officiellement la seule autorité à
administrer les camps de réfugiés.
Abeida Cheikh est le wali du camp de Smara, qui regroupe environ
50 000 personnes. Passées les politesses d’usage, la discussion
s’engage sur le retour du Maroc au sein de l’Union africaine (UA) : « Il
faut voir cela comme un nouveau défi : nous avons à présent la possibilité
de dénoncer la politique marocaine en présence des autorités du royaume. » C’est le discours officiel, qui veut voir le retour du
Maroc comme une victoire du Polisario : en s’asseyant aux côtés de Brahim
Ghali, président de la RASD, Mohammed VI serait de facto contraint de lui reconnaître une
légitimité. La réalité semble plus complexe : depuis 2000, près d’une
trentaine d’États autrefois solidaires de la RASD ont
préféré rompre leurs relations.
Avec une population
majoritairement âgée de moins de trente ans, la place de la jeunesse est au
cœur des échanges. Zeïn Sid Ahmed est le secrétaire général de l’Union de la
jeunesse de Saguía el-Hamra et Río de Oro (Ujsario), organisation de jeunesse
du Polisario. Censée préparer la jeunesse à la guerre de libération depuis le
cessez-le-feu de 1991, elle se consacre désormais à former intellectuellement
et politiquement les jeunes militants. Pour Sid Ahmed, la situation des jeunes
est alarmante, dans une région où transitent les réseaux de drogue et où
Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) menace l’intégrité
des États, le peuple sahraoui ne peut être à l’abri de ces fléaux : « Notre
jeunesse est particulièrement vulnérable, témoigne Sid Ahmed car
elle possède trois qualités majeures : elle est diplômée, adaptée au
climat désertique et possède une connaissance du terrain ».
Ces propos sonnent
comme un avertissement, le seul moyen d’empêcher ces milliers de jeunes de
répondre aux appels de ces réseaux ou de satisfaire leurs volontés de reprendre
les armes est de régler au plus vite la situation politique. Sid Ahmed
explique : « Il
n’y a pas trois possibilités, soit nous obtenons la justice avec la tenue du référendum sur
le statut du Sahara occidental, soit la criminalité et le terrorisme
gagneront. »
UNE POPULATION SOUS PERFUSION
Dans
les camps de réfugiés, si les mentalités ont évolué avec l’arrivée d’Internet
et des smartphones, les situations économiques et sanitaires restent inquiétantes.
La population sahraouie vit sous assistance, étant dans l’impossibilité de
constituer une agriculture viable en plein désert. Une fois par mois, la
nourriture est distribuée par le Programme alimentaire mondial (PAM) et des camions-citernes remplissent les réservoirs
situés devant chaque maison. Depuis un an, des pylônes électriques, fournis par l’Algérie,
alimentent la totalité des camps.
Depuis le
cessez-le-feu, le principal enjeu pour les familles sahraouies est de disposer
d’un capital économique propre. Tous les hommes sont répartis dans des
corporations professionnelles en fonction de leurs activités ou de leurs
formations. Dans un contexte où les besoins élémentaires sont fournis
gratuitement, la plupart des activités ne sont pas ou très peu rémunérées. Cela
pousse de nombreux Sahraouis à opter pour les quelques professions permettant
de voir de l’argent circuler : commerce et transport notamment. Dans les
camps, les Mercedes 300D et 190E règnent en maîtres. Elles sont importées
d’Espagne à bas prix. L’autre option économique est d’offrir ses services à
l’étranger. Hamoudi Thaleb a quitté les camps il y a plusieurs années pour
travailler en Espagne, en Italie et en France. S’il est revenu à Smara, c’est
pour aider sa famille. Désormais, chaque jour, il travaille à renforcer les
fondations de la maison familiale et empêcher le sable d’y entrer.
L’ambiance dans les
camps ne varie pas tellement. Dans des ruelles de sable et de pierre, les
Sahraouis nous saluent d’une ola, habitués à voir passer des Espagnols. Les
enfants sont plus pragmatiques : « Caramelo ? » Les femmes, habillées de leur melhfa, un tissu ample
enveloppant tout le corps, portent également des gants et des chaussettes en
laines, pour se protéger du soleil. Dans les épiceries, au milieu de produits
pour des teintes capillaires claires et des huiles essentielles, il y a
différentes crèmes pour blanchir la peau. Ali M., jeune Sahraoui, essaie
d’expliquer ce culte de la peau blanche : « J’aimerais
avoir une peau aussi blanche que la tienne. Je préfèrerais prendre des coups de
soleil que de voir ma peau s’assombrir. Avec ta peau, je pourrais aller où je
veux sans être discriminé, parler avec tout le monde sans que cela ne pose de
problème. » Les
jeunes Sahraouis disent souffrir de discrimination dans des capitales
étrangères du fait de leur mélanine, notamment à Alger où ils forment avec les
Algériens du Sahara un groupe distinct des habitants du littoral à la peau plus
claire. Pas de doute, l’héritage colonial est encore bien vivace.
FAIRE FACE À LA PROPAGANDE MAROCAINE
Mohamed
Alkehal, jeune biologiste, tient à témoigner de sa première source de
souffrance : celle de l’image que les médias marocains diffusent d’eux en
Europe. « Le
Maroc dit que nous restons ici parce que nous sommes séquestrés par le
Polisario, c’est faux, nous sommes ici parce que notre terre est occupée.
L’exil ? On y est déjà. » Systématiquement, les jeunes Sahraouis témoignent de leur
incompréhension face aux mensonges des autorités marocaines relayés en Europe.
Lire l'article
http://orientxxi.info/magazine/choses-vues-dans-les-camps-de-refugies-sahraouis,1761
Lire l'article
http://orientxxi.info/magazine/choses-vues-dans-les-camps-de-refugies-sahraouis,1761
« Il
y a beaucoup de Sahraouis qui ont quitté les camps pour vivre ailleurs, explique
Alkehal. Notre problème c’est
le visa. Déjà que les ambassades européennes sont très réticentes à donner des
visas aux Africains, imaginez un individu qui vit dans un camp de réfugiés au
Sahara. » Le
gouvernement marocain est conscient de la détresse des réfugiés sahraouis et
essaie de motiver leur retour : « Nous
devons passer par l’ambassade marocaine à Nouakchott, en Mauritanie. Là-bas,
nous sommes invités à signer plusieurs documents où nous reconnaissons la
légitimité de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et nous
faisons allégeance au roi. Ensuite, nous bénéficions d’aides financières pour
nous installer et trouver un logement. » Si
certains ont accepté le chantage, les anecdotes ne manquent pas autour de « héros
de la cause » qui transfèrent l’argent fourni par le Maroc à leur
famille sahraouie, voire qui vendent le logement fourni par les autorités puis
reviennent dans les camps avec d’importantes sommes d’argent.
Les mariages sont
l’occasion de faire de nouvelles rencontres. Chez les Sahraouis, l’événement se
déroule autour d’une grande tente installée pour l’occasion. À l’intérieur, les
femmes dansent et chantent. À l’extérieur, les hommes discutent et les
célibataires guettent du regard d’éventuelles prétendantes sorties furtivement.
La simple présence d’un Européen, qui plus est français, est en soi un
événement. Rapidement, un petit attroupement se forme, et permet d’engager la
discussion. Unanimement, les plus jeunes disent vouloir reprendre les armes. « À
quoi sert-on ici ? Nous avons eu beaucoup de martyrs, mais tous les jeunes
Sahraouis sont prêts à en offrir encore pour que notre cause soit de nouveau
entendue », témoigne l’un
d’eux.
Dans les écoles, tout
est fait pour que les nouvelles générations soient conscientes et déterminées à
reprendre le flambeau de la cause. Les portraits des leaders historiques
Mohammed Bassiri et Moustapha Sayed Al-Ouali côtoient ceux de Brahim Ghali et
d’Aminatou Haidar, célèbre militante sahraouie vivant en territoire occupé.
Mohamed Mouloud, ministre de l’éducation de la RASD, rappelle
l’importance de l’éducation dans l’histoire des Sahraouis : « En
pleine guerre, nous devions organiser l’éducation de milliers d’enfants au sein
de camps de réfugiés, sans matériel ni équipe éducative. Désormais, on compte
entre cinq et sept écoles par camp. Nous établissons nos propres programmes
scolaires et éditons nos propres manuels scolaires. Récemment, nous avons
ouvert un centre de formation pédagogique pour les enseignants, et dans le
futur nous souhaiterions développer un centre d’archives. »
Dans une société
vivant sous assistance humanitaire, le budget de la RASD dépend entièrement des partenariats
extérieurs. Les fonds propres du gouvernement sont infimes, donc chaque
ministère établit son budget avec l’aide humanitaire reçue et les partenariats
établis. « 7 %
des partenariats entre la RASD et des
institutions étrangères concernent l’éducation, note
le ministre. C’est par ce
biais que nous obtenons du matériel scolaire et des moyens pour rénover certaines
écoles. » Le reste
du budget concerne notamment l’alimentation (50 %), les
bâtiments et travaux publics (21 %), la gestion de l’eau
(8 %).
GARANTIR LES DROITS HUMAINS DE TOUS LES SAHRAOUIS
Le
Polisario affirme être le parti politique représentant la totalité du peuple
sahraoui, mais qu’advient-il de celui qui souhaiterait parler d’une autre voix ?
Abba Salek est président de la Commission nationale sahraouie des droits de l’homme (Conasadh) : « Nous défendons la liberté d’expression, chaque Sahraoui est libre de critiquer le président ou les décisions de la RASD, explique-t-il. Cependant, le développement de partis politiques divergents risquerait de nous écarter de l’objectif principal : l’obtention du référendum d’autodétermination et la libération de notre terre. » Sa promesse d’un futur État sahraoui fondé sur une République démocratique et multipartite n’engage que sa parole, et au regard de l’évolution des principaux mouvements politiques de la décolonisation, il semble lucide de rester prudent.
Abba Salek est président de la Commission nationale sahraouie des droits de l’homme (Conasadh) : « Nous défendons la liberté d’expression, chaque Sahraoui est libre de critiquer le président ou les décisions de la RASD, explique-t-il. Cependant, le développement de partis politiques divergents risquerait de nous écarter de l’objectif principal : l’obtention du référendum d’autodétermination et la libération de notre terre. » Sa promesse d’un futur État sahraoui fondé sur une République démocratique et multipartite n’engage que sa parole, et au regard de l’évolution des principaux mouvements politiques de la décolonisation, il semble lucide de rester prudent.
Depuis avril 2016, la
Conasadh a le statut d’observateur à la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples. Salek affirme être en pleine préparation de dossiers
pour révéler au sein de l’Union africaine (UA) les
agissements des autorités marocaines. Reconnue par le Conseil des droits de
l’homme des Nations unies, basé à Genève, la Conasadh compte parmi ses
partenaires l’Association marocaine des droits de l’homme, grâce à laquelle
elle obtient un suivi des dossiers de prisonniers sahraouis — notamment les
vingt-quatre inculpés de Gdeim Izik.
L’Association des
familles des prisonniers et disparus sahraouis (Afapredesa) a été créée en
août 1989. L’organisation accompagne les familles de prisonniers
politiques et les disparus, ces individus qui ont été arrêtés par les autorités
marocaines sans que celles-ci ne le reconnaissent. Depuis sa création,
l’association affirme avoir travaillé sur le dossier de plus de quatre mille
personnes. À ce jour, selon le président de l’association Omar Lahcen, près de
cinq cents Sahraouis sont toujours portés disparus. Il rappelle que cette
méthode n’est pas spécifique aux Sahraouis, mais à tous les opposants au roi du
Maroc, à l’instar de Mehdi Ben Barka,
kidnappé en France puis torturé à mort et dont le corps n’a jamais été
retrouvé.
L’association dispose
de nombreuses vidéos de violences sur des militants sahraouis par les services
de sécurité marocains. Les images sont sans appel : des rassemblements
brutalement dispersés, des militants se faisant humilier en pleine rue, des femmes
bousculées dont on arrache les voiles, des jeunes passés à tabac puis jetés en
bord de route en plein désert.
LES NOUVEAUX VISAGES DE LA CAUSE
Sans
renier l’héritage politique de la RASD et du
Polisario, une nouvelle génération de militants émerge. L’une des principales
figures est sans nul doute l’association Non Violence
Action (Nova)-Sahara Occidental, qui regroupe une centaine
d’adhérents dans les camps et autant dans le Sahara occidental occupé. Abida
Bouzeid en est depuis 2014 la présidente ; charismatique, la
jeune militante se montre déterminée : « Nous
voulons utiliser la colère des
jeunes des camps pour
mener des campagnes politiques de grande ampleur et malmener la propagande
marocaine ». Bien qu’elle
s’affirme indépendante du Polisario, force est de constater qu’elle répond
parfaitement à un créneau d’action qui semble échapper au mouvement politique
sahraoui. Nova propose des formations aux nouvelles techniques de communication
et à la non-violence à des groupes de jeunes volontaires. Plus récemment, les
militants de Nova ont été invités par la RASD à former
les soldats au droit international humanitaire.
En 2016, Bouzeid a
été invitée en France pour porter la voix des Sahraouis. Elle dit avoir été « atterrée » par l’absence de conscience de la part de la classe
politique française sur
la question sahraouie et des faiblesses des réseaux de solidarité pour la cause
de son peuple, en comparaison avec le mouvement de solidarité pour la
Palestine. « Nous
attirons moins les médias que d’autres causes par manque de sensationnalisme, explique-t-elle. Ici,
il n’y a plus de bombardements ni d’affrontements militaires, et on ne peut que
s’en réjouir, sauf que cela a conduit à la marginalisation de notre lutte. »
Désormais, Nova veut
mobiliser les jeunes Sahraouis sur des batailles pacifiques, mais
déterminantes : l’accueil de délégations politiques et syndicales
internationales, la diffusion d’une communication militante sur les réseaux
sociaux et la sensibilisation d’artistes internationaux. Dans un contexte de
volonté guerrière d’une partie de la jeunesse, le choix de la non-violence est
à questionner : « Nous
n’avons pas le choix, la violence ne peut pas construire une société apaisée, explique la présidente. Nous
devons réaffirmer que l’État marocain a toujours été la porte d’entrée des
velléités impérialistes et néocoloniales de la France et des États-Unis en
Afrique. »
Ce constat, elle a pu
en faire l’amère expérience en mars 2015, lorsqu’elle a été invitée à
s’exprimer au Conseil de sécurité de l’ONU et que les représentants français ont
décidé de boycotter son audition. En décembre 2016, elle a participé à une
délégation sahraouie pour le 4e Forum social maghrébin
migration qui s’est tenu à Tanger. Son entrée en territoire marocain a été
possible grâce à l’intervention de l’ONG Oxfam. Elle a pu y tisser des
relations avec des organisations étudiantes marocaines et remettre en cause la
rhétorique gouvernementale au sujet de la lutte de son peuple. Surtout, elle y
a relayé ces mots qui animent la conscience des Sahraouis : « Nous
n’en voulons pas aux Marocains, mais à leur gouvernement. L’Afrique est un
immense continent, il y a de la place pour tout le monde. »
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