Photo prise le 27 décembre 2017 lors d'une manifestation dans l'ancienne
ville minière de Jerada, dans le nord-est du Maroc (afp)
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Les mouvements de protestation sociale se sont multipliés ces derniers mois dans des régions marocaines déshéritées.
Face au sentiment d'abandon des habitants de ce Maroc longtemps qualifié
d'"inutile", la recherche d'un "nouveau modèle de développement" est
devenu le leitmotiv des pouvoirs publics.
En attendant sa concrétisation, et pour tenter de répondre à la colère
persistante de la population de Jerada, une ancienne ville minière de
l'extrême nord-est, le chef du gouvernement Saad-Eddine El Othmani s'est
rendu dans la région samedi, annonçant une série de mesures. Cela n'a
pas empêché la tenue d'une nouvelle manifestation pacifique dès le
lendemain.
En octobre 2016, la mort d'un vendeur de poisson à Al-Hoceïma, dans la
région du Rif (nord), broyé dans une benne à ordures en tentant de
s'opposer à la saisie de sa marchandise --de l'espadon interdit à la
pêche--, a provoqué une onde de choc avec des mois de manifestations,
des vagues d'arrestations et des sanctions au sommet de l’État.
Au départ, les manifestants exigeaient justice et vérité sur la mort du
"martyr Mouhcine Fikri". Peu à peu, le mouvement s'est étendu à des
revendications sociales et économiques, la région du Rif, historiquement
frondeuse, s'estimant marginalisée et victime de sous-développement.
Incarné par une figure médiatique, Nasser Zefzafi, le "Hirak" -nom donné
au mouvement- a peu à peu été confronté à un durcissement des
autorités avec des centaines de personnes arrêtées, dont M. Zefzafi.
A 900 km de là, la ville de Zagora, dans le sud désertique, a pour sa
part connu en octobre 2017 des "manifestations de la soif" contre des
coupures d'eau récurrentes.
Brandissant des nuées de drapeaux marocains, les manifestants continuent
à ce jour de dénoncer l'"abandon" de leur ville et de réclamer une
"alternative économique" à ces "mines de la mort" clandestines, dans
lesquelles des centaines de mineurs risquent leur vie.
"Le Maroc a connu ces dix dernières des contestations similaires dans
d'autres villes marginalisées", rappelle à l'AFP le politologue Mohamed
Darif.
En 2007, des manifestations contre la hausse des prix des produits
alimentaires de base ont secoué Sefrou (centre). Entre 2005 et 2009,
Sidi Ifni (sud) et Bouarfa (est) furent le siège de mouvements
populaires contre le sous-développement. Sur fond de malaise social,
Taza (centre) a connu des manifestations similaires en 2012.
Les mouvements actuels et ceux des années 2000 tranchent toutefois avec les violentes émeutes des années 1980.
"La protestation sociale est passée du phénomène de l'émeute, marquée
par une violence meurtrière de la part des habitants et de l’État (...)
aux manifestations, sit-in, marches qui se caractérisent par leurs
actions collectives pacifiques", dit à l'AFP le sociologue Abderrahmane
Rachik, auteur d'un ouvrage de référence sur les mouvements sociaux.
Il estime que les jeunes diplômés chômeurs et les organisations
syndicales ont "joué un rôle majeur" pour transformer le mode de
contestation.
L’attitude de L’État à l’égard de ces mouvements a également évolué.
Même dans la crise du Rif, les autorités, tout en durcissant leur
action, ont tenté de répondre en lançant -ou relançant- une série de
projets de développement.
Pour apaiser les tensions à Jerada, elles ont opté jusqu'ici pour un
"dialogue ouvert", et des mesures censées répondre aux revendications
ont donc été annoncées samedi.
- Quelles sont les causes profondes?
Les protestations "ont toutes lieu dans des petites villes touchées par
la marginalisation, la précarité et un déficit d'infrastructures", note
M. Darif.
Dans un essai paru en 2010, les universitaires Karine Bennafla et
Montserrat Emperador résumaient les mobilisations des années 2000:
"elles exposent le sentiment d’abandon d’habitants vivant dans des
espaces-marges, zones montagnardes enclavées ou bourgs des confins, qui
dessinent un Maroc qualifié d’+inutile+ lors du Protectorat", loin du
dynamisme de l'axe Atlantique Tanger-Rabat-Casablanca.
Cette lecture reste valable tant le royaume reste marqué par de criantes
inégalités sociales et territoriales, sur fond de chômage élevé parmi
les jeunes. En octobre, un rapport soulignait la persistance d'une
grande pauvreté dans les zones enclavées.
Si elle était auparavant "vécue comme +naturelle+, le processus
d’ouverture du système politique autoritaire, la prise de parole (...),
l’espoir d’un éventuel changement, sont les premiers ingrédients qui
nourrissent le mécontentement collectif", analyse M. Rachik.
La recherche d'un nouveau modèle de développement est devenu le
leitmotiv des responsables depuis que le roi Mohammed VI a affirmé que
l'actuel était "inapte à satisfaire les demandes pressantes (...) des
citoyens" et à "réduire les écarts territoriaux".
"Le modèle de développement économique qui ne marche pas est le fruit du
modèle politique", signale néanmoins M. Darif. Pour ce politologue,
"la révision du modèle économique doit passer par de nouveaux choix
politiques, dont une démocratisation des institutions et un
élargissement du champ des libertés."
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