Les réseaux sociaux, levier de la prise de conscience des populations
Le focus mentionne également une enquête du Haut commissariat au plan
datant de 2014 dans laquelle, près de 64 % des personnes interrogées
estiment que les inégalités ont augmenté au Maroc, contre seulement,
7,8 % qui pensent que celles-ci ont régressé. « Ces éléments font,
ainsi, ressortir la faible capacité de l’environnement économique,
social, institutionnel et politique à répondre aux attentes de larges
franges de la population et à améliorer leurs conditions de vie« ,
commente le CESE. L’essor de l’utilisation de l’espace virtuel et la
prolifération des réseaux sociaux, notamment chez les jeunes, a
également contribué au changement d’attitude des citoyens vis-à-vis des
inégalités. « Dans un contexte où la participation politique demeure
modeste et où la confiance dans les institutions d’encadrement et
d’intermédiation s’est affaiblie, le monde numérique est de plus en plus
exploité en tant qu’espace libre d’expression et de débat, autour de
sujets qui intéressent la société, notamment, la question des inégalités« .
Un ascenseur social « défaillant »
Le CESE observe également l’inefficacité, aux yeux de larges franges
de la population des mécanismes de mobilité sociale. Un constat expliqué
par « l’affaiblissement de la méritocratie et la défaillance des
ascenseurs sociaux classiques, tels que l’accès équitable à l’emploi,
l’égalité des chances ou encore une éducation de qualité pour tous« .
Le CESE cite des chiffres de 2013 publiés par le HCP sur la mobilité
inter-générationnelle, selon lesquels seulement 35 % des individus de 35
ans et plus ont connu une mobilité sociale ascendante par rapport à
leur parents, les autres ayant plutôt stagné ou bien régressé. « Bien
que le rapport entre la dépense annuelle/habitant des 10 % les plus
aisés et celle des 10 % les plus pauvres ait régressé depuis 2007,
celui-ci demeure important« , estime le focus du CESE, tout en rappelant que « les
inégalités de revenu et de dépenses sont à relier, notamment, aux
inégalités d’accès à l’emploi et aux opportunités d’affaires« .
Pour illustrer cela, le CESE s’appuie sur les chiffres du HCP sur la
situation du marché du travail. Ainsi, les jeunes sont l’une des
catégories qui souffrent le plus du chômage, avec un taux de 26,5 % en
2017, contre 10,2 % comme moyenne nationale. Cette proportion dépasse
même 40 % parmi les jeunes en milieu urbain.
L’éducation et la santé profitent – surtout – aux riches
Le CESE regrette que « l’état du système éducatif actuel pénalise
la mobilité sociale ascendante et l’aspiration d’échapper à la pauvreté
et à l’exclusion sociale » et rappelle que « plus de 55 % de
la pauvreté multidimensionnelle est expliquée par les déficits
d’éducation des adultes et la non-scolarisation des enfants" . L’aspect inégalitaire de l’éducation est, selon le Conseil, « amplifié
par la dichotomie école publique / privée, dans le sens où les déficits
dont souffre le secteur éducatif public, jouent au détriment des
classes pauvres fréquentant essentiellement l’école publique et leur
offre de faibles opportunités de mobilité sociale ascendante« . Le
CESE s’inquiète même du fait que l’appel à l’instauration de frais
d’enregistrement dans l’enseignement public et le poids ascendant du
secteur privé « pourraient nuire davantage à la cohésion sociale, dans la mesure où ils accentuent la fracture sociale ».
Sur la santé, le CESE affirme que les disparités en termes d’accès à des soins de qualité demeurent « importantes« ,
même si des indicateurs de santé tels que, l’augmentation de
l’espérance de vie à la naissance, la réduction de la mortalité
maternelle ainsi que celle de la mortalité infanto-juvénile, témoignent
d’avancées certaines. Par exemple, la mortalité maternelle en milieu
rural est deux fois et demie plus élevée qu’en milieu urbain, et
l’assistance à l’accouchement pour les 20 % des femmes les plus riches
est presque 3 fois supérieure à celle des 20 % les plus pauvres. Le
Conseil indique également que le ratio du nombre de médecins pour 10 000
habitants est à peine de 6,2 et ne satisfait pas aux normes de
l’Organisation mondiale de la Santé. L’offre de soins se trouve « aggravée
par sa forte concentration au niveau de certaines régions (22 % des
professionnels publics et près de 50 % de l’offre privée sont concentrés
dans les régions de Casablanca-Settat et de Rabat –Salé-Kénitra)« .
Les femmes, maillon faible de la société
« Bien que le Maroc se soit progressivement doté, depuis le début
des années 2000, d’une législation visant l’égalité des droits entre
femmes et hommes et en dépit de l’affirmation par la Constitution d’une
volonté de lutter contre les inégalités et discriminations à l’égard des
femmes, la situation sociale des femmes marocaines n’évolue pas de
manière satisfaisante, voire même, régresse dans certains domaines« , alerte le rapport. Cela se manifeste par « la persistance du mariage des mineurs« , la situation « particulièrement difficile »
des femmes « cheffes de ménage », des femmes seules, des mères
célibataires et des détenues, et la faiblesse de la couverture sociale
des femmes veuves ou divorcées. Aussi, peu de femmes bénéficient d’une
pension de retraite. « Elles représentent actuellement 16 % de
l’effectif des retraités à la CNSS et leur pension moyenne de retraite
est de 1 865 dirhams contre 1 935 pour les hommes« , note le rapport.
Des régions encore trop inégales devant la richesse et l’enrichissement
Jusqu’à 2015, 3 régions sur 12 ont réalisé 58,3 % du PIB du Maroc, à
savoir, Casablanca-Settat (32,2 %), Rabat-Salé-Kénitra (16 %) et
Tanger-Tétouan-Al Hoceima (10,1 %). Cela témoigne, d’après le CESE,
d’une « concentration géographique poussée de la création de richesse« .
Sur la période 2008/2015, l’investissement des entreprises et
établissement publics (EEP) a représenté 55 % de l’investissement
public, 36 % dans le budget général et seulement 8 % pour les
collectivités territoriales. « Les régions de la dorsale Tanger-El Jadida concentrent l’essentiel de l’investissement public« ,
estime le rapport, qui s’inquiète de l’existence de disparités
flagrantes entre les régions, au vu de la répartition territoriale des
entreprises. A fin 2017, 3 régions sur 12 s’accaparaient 55 % des
entreprises au Maroc, « ce qui impacte négativement la croissance et l’emploi des régions les moins attractives« . Pour le Conseil, « ces
dernières continuent de souffrir de la faiblesse des ressources
fiscales propres, vu l’étroitesse de la base fiscale locale, et par
conséquent, entretiennent une forte dépendance par rapport aux
transferts de l’Administration centrale« .
Un appel à « un engagement plus ferme des pouvoirs publics »
Le CESE recommande de « renforcer la gouvernance pour rétablir la
confiance du citoyen dans la capacité des institutions et des
politiques publiques à résorber les inégalités« . Cela passe par « un
engagement plus ferme des pouvoirs publics, appuyé dans la pratique par
une application encore plus rigoureuse de la loi, ainsi que le
renforcement et la généralisation du principe de reddition des comptes,
en vue de lutter contre les privilèges, les passe-droits, les rentes de
situation et la corruption« . Le Conseil préconise également de « relancer l’ascenseur social à travers une éducation moderne, de qualité et accessible à tous« . Il appelle à un « engagement
fort pour un recentrage des efforts autour de la mise à niveau de
l’école publique, afin de l’ériger en tant que lieu d’apprentissage de
qualité, mais également en tant qu’espace de mixité sociale", l’instauration d’un « équilibre
entre les connaissances et le savoir-être (soft-skills) au niveau du
contenu des programmes au sein de l’école publique, afin de doter
l’ensemble des élèves/étudiants, des mêmes armes cognitives, quel que
soit leur milieu d’origine« , ainsi qu’à une « répartition
géographique équilibrée des écoles, des universités et des instituts
supérieurs de formation pour lutter contre les inégalités d’accès à une
formation de qualité entre les régions et les milieux de résidence« .
Sur les inégalités économiques, le CESE recommande de réformer la fiscalité « afin
d’assurer une distribution plus équitable de la charge fiscale en
élargissant la base fiscale à travers la lutte contre la prolifération
de l’informel et la poursuite de l’amélioration des capacités de
recouvrement de l’impôt, via notamment, la lutte contre la fraude et
l’évasion fiscales«
. Il prêche également pour « l’accélération de la réforme de ciblage des subventions pour qu’elles puissent profiter aux plus nécessiteux« , et à la « relance
du dialogue social en vue du parachèvement de l’universalité du système
de protection sociale et de l’élimination des mesures discriminatoires
et des situations de dé-protection des citoyens« . Le CESE prône l’éradication des « pratiques
discriminatoires à l’égard des femmes, en prévenant et en luttant
contre les violences qui leur sont faites, et en renforçant leur
participation dans la vie économique, sociale, politique et culturelle« . Cela passe notamment par « la
lutte contre la dégradation du taux d’activité des femmes et assurer
les conditions réglementaires et matérielles nécessaires qui permettent
d’avoir un environnement favorable à la promotion de l’insertion de la
femme dans la vie active« , l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme national d’action pour la lutte contre le mariage des mineurs, ainsi que « le maintien des droits à la couverture médicale des femmes ayant des enfants à charge après dissolution du mariage ».
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