Le gouvernement s'apprête à revoir le financement de la prise en charge des mineurs étrangers isolés. Décryptage avec Corinne Torre, responsable France de MSF.
Il était temps, le système est à bout de souffle.
Aujourd'hui, ces mineurs, déboussolés par un processus administratif
kafkaïen qui ne permet ni d’évaluer correctement leur minorité ni de les
protéger et de leur trouver un abri, se retrouvent très souvent à la
rue. Au total, 25.000 mineurs sont arrivés en France en 2017, et plus de
10.000 seraient livrés à eux-mêmes.
Les départements, qui doivent les prendre en charge, sont surchargés
et financièrement plombés : près de 15.000 mineurs étrangers isolés leur
ont été confiés en 2017, soit une hausse de 85% en un an. Ces chiffres
ressortent d'un rapport remis à Matignon en février, et qui prône le
maintien du délai d’évaluation à une période de 25 jours maximum, et
l’accroissement des capacités d’hébergement. Deux scénarios se détachent
pour améliorer la machinerie. Le premier prévoit une "augmentation
significative" de la participation financière que l'Etat rembourse aux
départements, mais des "compétences inchangées". Le second envisage un
"transfert des compétences à l'Etat" en matière d'hébergement et
d'évaluation des mineurs.
Corinne Torre, responsable France de MSF, dont le centre d’accueil de
Pantin (Seine-Saint-Denis) accompagne les mineurs isolés étrangers,
dénonce le manque de financements et appelle l’État à assumer ses
responsabilités. Entretien.
Les mineurs étrangers non accompagnés relèvent à ce jour
de la protection de l’enfance, compétence du département. Transférer ces
compétences en matière d’hébergement et d’évaluation à l’Etat est-il
une solution ?
Le système tel qu’il existe aujourd’hui ne fonctionne pas. Mais
demander à l’État de prendre en charge l’évaluation et la mise à l’abri
serait catastrophique. Les mineurs étrangers ne peuvent pas être traités
comme des migrants adultes. Ils doivent être d'abord considérés comme
des enfants, indépendamment de leur nationalité. Ils ne doivent donc pas
sortir du dispositif de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), malgré ses
défauts, et donc des départements.
L’État, avec sa politique migratoire répressive, n'est pas
bienveillant à l’égard des mineurs étrangers isolés, qui ont besoin
d'une prise en charge particulière. Cela demande des moyens, des
recrutements de personnels qualifiés et formés pour gérer cette
population. Ce n’est pas le cas aujourd’hui dans de nombreux
départements.
L’augmentation du nombre de ces mineurs étrangers a plongé
les départements dans de graves difficultés financières. Comment
peuvent-ils alors assurer de manière efficiente cette prise en charge ?
Ils le peuvent si l’État débloque de l’argent ! Ces fonds serviront
notamment à investir dans les ressources humaines. A Paris par exemple,
40 jeunes se présentent chaque jour dans le centre d’évaluation qui doit
juger de leur minorité. Le personnel ne peut pas absorber ce flux. Pour
gérer le problème, depuis décembre, des pré-évaluations ont été mises
en place avant l'évaluation. Elles durent une demi-heure, avec cinq ou
six questions. Mais comment peut-on décider si un gamin est mineur ou
pas en une demi-heure, alors qu’on n'y arrive déjà pas en deux heures ?
C’est scandaleux.
Le jugement se fait au faciès : parce qu’on aura estimé qu’il a de
faux papiers, qu’il est trop grand, trop bien habillé, qu’il ne fait pas
son âge, qu’il parle trop bien, il se verra opposer un "refus guichet"
et ne pourra pas avoir accès à l’entretien d’évaluation. Dans notre
centre, 70 jeunes se sont vu refuser l'entretien. Et pourtant, la
convention internationale des droits de l’enfant dit bien que si un
jeune se présente comme mineur, il doit, au bénéfice du doute, être
évalué et protégé dans l’attente de son évaluation.
Aujourd’hui, le débat gouvernemental autour des mineurs
isolés porte surtout sur les coûts, non sur les mineurs déboutés à la
rue...
L'itinéraire du mineur isolé est un parcours du combattant. Il n’y a
personne pour les accueillir. Tous passent des nuits dehors en arrivant
avant de tomber sur une association qui les oriente. Ensuite, si le
jeune arrive à obtenir un rendez-vous pour évaluer sa minorité, il n’est
pas protégé pour autant. Le personnel doit établir si ses papiers,
quand il en a, sont authentiques et juger si le récit de son parcours
migratoire est crédible pour confirmer sa minorité. Cela peut prendre
plusieurs semaines, en fonction de sa nationalité, de la capacité des
proches à fournir des documents et des preuves de sa minorité.
Pendant ce temps, l’État doit loger le mineur puisqu’il est en cours
d’évaluation. Les cinq premiers jours sont à la charge financière de l’État, puis le département prend le relais. Or les départements n'ont
plus les moyens. On comprend alors pourquoi de nombreux mineurs se
retrouvent à la rue.
A Paris, entre 80 et 85% des jeunes sont déboutés de leur
reconnaissance de minorité sur la base de cet entretien. Mais une fois
encore, comment peut-on juger aussi rapidement du parcours d’une
personne qui a subi des violences lors de son voyage pour venir jusqu’en
France et qui en a peut-être subi dans son pays d’origine ? Il y a des
gamins qui ne racontent pas la vérité car ils n’arrivent pas raconter
leur histoire ou parce qu’ils récitent un discours stéréotypé dicté par
les passeurs.
On doit pouvoir, en France, héberger ces jeunes, leur offrir une
protection spécifique pour les rassurer, les stabiliser, les mettre en
confiance jusqu’à l’évaluation. On doit pouvoir leur donner toutes les
chances d’être reconnus mineurs. Or, tout est fait pour prouver qu’ils
sont majeurs. Arrêtons de les traiter à charge.
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