- 17 oct. 2019
- Par Hicham Mansouri
- Blog : Le blog de Hicham Mansouri
Khadija Ryadi, lauréate du Prix des Nations Unies pour
les droits de l'homme et ancienne présidente de l'Association marocaine
des droits humains (AMDH), nous livre son analyse de la situation des
libertés au Maroc, des prémisses d'une seconde vague du " Printemps
arabe" ainsi que de la réaction de la communauté internationale face à
l'offensive de l’armée turque contre les Kurdes. Entretien.
Comment évaluez-vous, brièvement, la situation des droits humains au Maroc?
Khadija Ryadi © DRj |
Elle est en régression depuis quelques années. L’État s’est
transformé progressivement en un régime policier. La dissidence est
violemment réprimée. La justice est instrumentalisée par le pouvoir pour
blanchir les exactions des services de sécurité tout en les légitimant.
L’impunité des fonctionnaires auteurs de crimes de torture et des
détentions arbitraires est systématique. Des droits élémentaires sont
bafoués quotidiennement tels que la liberté d’association, le droit de
réunion pacifique, ou encore la liberté d’expression. Ce qui fait qu’au
Maroc il n’y a presque plus de presse indépendante. Ceci est aussi le
cas pour les droits économiques, sociaux et culturels: ce qui se
manifeste dans la faillite quasi-totale de l’enseignement public négligé
et délaissé par les pouvoirs publics et suite à une politique
d’encouragement de l’enseignement privé élitiste. La situation alarmante
des hôpitaux publics en est l’autre aspect non moins dramatique.
Vous ne dramatisez pas un peu.. Le Roi vient de gracier la journaliste Hajar Raissouni (*)
Cette décision est le résultat de la grande mobilisation
nationale et internationale qui a eu lieu pour la libération de Hajar.
Mais comme le pouvoir veut toujours profiter des situations même celles
qui lui sont le moins favorable, cette grâce a eu lieu pour dire que le
roi est clément. Le problème n’est pas le type d’accusation, car en tout
cas celle-ci n’a même pas été prouvée devant le tribunal, c’est le
contraire qui a été prouvé. Le problème c’est l’intervention du roi
avant la fin de la procédure judiciaire. Ceci montre que c’est une
décision politique qui répond à une situation de détention politique
causée par des services sécuritaires qui deviennent de plus en plus
hégémoniques et dominants sur tous les aspects de fonctionnement de l’État. Et cela est liberticide à tous les points de vue. N'oublions pas
qu'il reste d'autres journalistes en prison comme Taoufik Bouachrine et Hamid El Mahdaoui
et des dizaines d'autres prisonniers d'opinion non journalistes mais
pour lesquels la mobilisation n'est pas assez forte. Le régime survit
par la peur qu’il instille. L’élite est tétanisée par la peur, et la
crainte de la diffamation [voir l’enquête du Desk] qui est érigée en un système de contrôle et de soumission. La situation est insoutenable.
Avec le Hirak du Rif et les soulèvements pacifiques au Soudan,
en Algérie, et d'autres pays dans la sous-région, pensez-vous qu'on est
entrain de vivre les prémisses d'une seconde vague du Printemps arabe?
Oui beaucoup d’analyses en ont parlé bien avant le début des
nouveaux soulèvements. Vu la suite dramatique des premières
insurrections qu’ont connues certains pays de la région maghrébine et
arabe, il était clair que les aspirations des peuples ont été avortées
par des forces aussi bien internes qu’externes. Et donc il était clair
que les choses ne s’arrêteraient pas là. C’est vrai que les horreurs que
vivent quelques pays depuis 2011 ont fait tarder cette nouvelle vague,
suite à la terreur semée au sein des peuples de la région. Les régimes
autoritaires en ont bien profité en se présentant comme les garants de
la stabilité, et même comme de véritables sauveurs.
La situation finira toutefois en boomerang, il y aura bien un
retour de flamme contre les dictatures répressives de la région. Car
les contradictions sont telles dans ces sociétés… Les fractures ne
cessent d’ailleurs de se creuser. Le malaise des couches populaires
augmente et le sentiment profond d’injustice ne peut durer à l’infini.
Lauréate du Prix des Nations unies pour les droits de l'homme,
comment évaluez vous la réaction de la communauté internationale face
au désastre humanitaire au Yémen, au scandale que vivent les Rohynga au
Maynmar, à l'offensive sanglante de l’armée turque contre les Kurdes en
Syrie?
La situation dans ces pays dépasse toutes les limites
imaginables de la brutalité humaine, si on peut encore l’appeler comme
cela. La réaction de la communauté internationale est aussi honteuse que
lâche. Surtout quand les grandes puissances étendent le tapis rouge aux
dictateurs sanguinaires qui sont parfois impliqués dans les crimes de
guerre et crimes contre l’humanité dans ces régions. Les principes de la
Charte des Nations unies et tout le droit international sont bafoués.
Et les principes des droits humains vivent le plus grand déclin depuis
la Déclaration universelle de 1948. Les défenseurs des droits humains
qui affrontent cette situation sont aussi, plus que jamais, la cible
privilégiée de toutes les dictatures mais aussi des régimes dits
démocratiques. Mais pour ne pas finir par cette note trop pessimiste, il
ne faut pas oublier que dans toutes ces régions, malgré les souffrances
et tous les malheurs qu’y vivent les populations il y a de multiples
formes de résistance qui continuent et qui certainement changeront les
choses dans l’avenir. Aussi l’humanité et le monde restent pleins de
bonnes volontés. Différentes formes de solidarité se mettent en place.
L’histoire malgré tout avance. Le combat finira par payer. C’est là
notre espoir en tout cas.
(*) Condamnée à un an de prison pour "avortement illégal" et "sexe hors mariage, ainsi que son fiancé, un médecin et deux de ses collègues (Lire sur Mediapart)
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