En lançant, le 13 novembre 2020, une opération militaire dans la zone tampon de Guerguerat, près de la frontière mauritanienne, le Maroc a réveillé l’un des plus vieux conflits d’Afrique. 45 ans après le départ du colonisateur espagnol, le partage du Sahara occidental n'est toujours pas acté.
Vendredi 13 novembre 2020, l’armée marocaine est intervenue dans une zone démilitarisée du Sahara occidental, un no man’s land sous contrôle des casques bleus, pour débloquer un axe routier essentiel pour les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest, notamment pour le transport de fruits et de légumes.
Un blocage organisé par des militants du Front Polisario, qui visait à remettre la question du Sahara occidental dans les priorités de la communauté internationale, analyse Thierry Desrues, chercheur à l’Institut d’études sociales avancées de Cordoue, en Espagne :
Ce conflit n'est plus sur l'agenda puisque les grandes puissances qui siègent au Conseil de sécurité de l’ONU appuient la partie marocaine ou sont très neutres vis-à-vis d'elle.
« C'est un conflit qui est oublié depuis plusieurs années, depuis le printemps arabe, depuis l'évacuation des campements de Gdeim Izik en octobre 2010, où des affrontements avaient opposé manifestants sahraouis et forces de l’ordre marocaines, faisant treize morts et plusieurs blessés et donnant lieu à de lourdes condamnations de militants sahraouis. »
Pour comprendre l’origine de cette guerre, il faut revenir sur l’histoire du Sahara occidental, un territoire toujours considéré comme « non autonome » par les Nations Unies et qui est le théâtre, depuis 45 ans, de l’un des tout derniers conflits postcoloniaux.
La fin d'une colonie
De 1884 à 1975, le Sahara occidental est une colonie espagnole. Elle est alors appelée Rio de Oro, car l’ancienne route des caravanes de l’or traversait cette terre vaste comme le Royaume-Uni et peuplée par des habitants surnommés les « fils des nuages », en raison de leur quête incessante de pluie et de pâturages pour leur bétail.
C’est en 1975 que le destin de cette bande de désert aride va basculer. Cette année-là, le général Franco, agonisant, décide de mettre fin à la colonisation espagnole. Le territoire est coupé en deux : le tiers sud va à la Mauritanie, les deux tiers nord au Maroc, conformément aux accords de Madrid signés la même année. Un règlement politique sous la pression, notamment de Rabat, qui avait pris l’initiative, peu avant, en lançant « la marche verte » : près de 350 000 Marocains, des civils désarmés, avaient répondu à l’appel du roi Hassan II et pénétré dans le Sahara occidental devant des soldats espagnols médusés, à qui Madrid avait donné l’ordre de ne pas faire feu.
Devant ce coup de force, les indépendantistes sahraouis lancent leur lutte, fondent le Front Polisario (Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro) et proclament, en 1976, depuis leur exil à Tindouf en Algérie, la RASD, la République arabe sahraouie et démocratique, un État que la grande majorité de la communauté internationale ne reconnaîtra (l’ONU, en revanche, se déclare pour l’organisation d’un référendum d’auto-détermination du Sahara occidental).
Dans son combat, le Front Polisario est soutenu et armé par la Libye de Mouammar Kadhafi et, surtout, par l’Algérie voisine. La puissance régionale rivale du Royaume marocain n’a jamais dissimulé son appui aux indépendantistes sahraouis. Le nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune a d’ailleurs réaffirmé ce soutien quelques mois à peine après son arrivée au pouvoir, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – une constante de l’État algérien.
Un conflit africain
C’est à partir de 1975 et fort du soutien d’Alger et de Tripoli, que les combattants du Front Polisario, aguerris aux techniques de guérilla et connaissant chaque recoin du Sahara occidental, vont connaître leur première victoire avec le départ, en 1979, des troupes mauritaniennes. Mais la guerre avec le Maroc ne fait commencer. Rabat profite de ce retrait pour étendre sa zone de contrôle et érige un mur de sable long de plus de 2500 km. Près de 100 000 soldats marocains sont positionnés dans ce Sahara occidental « utile », soit 80 % du territoire composé d’une façade maritime de 1 000 km riche en eaux poissonneuses mais aussi en phosphate, or, uranium, manganèse ou fer.
Les 20 % restants, administrés par le Front Polisario, forment une bande désertique enclavée le long de la frontière mauritanienne. Des dizaines de milliers de Sahraouis vont fuir vers l’Algérie, qui va devenir la base arrière des indépendantistes. Pour eux, c’est le début de l’impasse. Le conflit va s’enliser, les échecs de médiations se multiplier jusqu’en 1991 et la signature d’un cessez-le-feu sous l’égide de l’ONU, qui va déployer une mission de maintien de la paix, la Minurso, chargée d’organiser un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui (d'où son nom, (Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental).
Mais le Maroc, qui a fait du Sahara occidental une cause nationale, va s’y opposer farouchement, préférant parler d’autonomie très large sous sa souveraineté.
Une situation qui met en lumière l’impuissance de la force onusienne, explique Thierry Desrues :
La Minurso est sur place et, en fait, elle n'y joue aucun rôle. On a même l'impression qu'elle n'accède pas toujours au théâtre des événements, tant du côté du Polisario que du côté du Maroc.
« Une des raisons des manifestations qui se sont produites à Guelguerat, et qui ont freiné la circulation entre le Maroc et la Mauritanie, c'est justement le fait que l'observation du respect des droits de l'homme n'a pas été introduite dans le mandat de la Minurso, ce que réclame le Front Polisario depuis plusieurs années. »
Le statut quo est devenu insupportable pour les militants du Polisario, qui assistent pendant ce temps au développement économique de la partie contrôlée par Rabat. Depuis 2002, le Maroc a investi des milliards d’euros dans des projets de santé, d’éducation, d’eau potable, de réseaux télécoms, de ports, d’aéroports et de voirie. Parallèlement, le Maroc a mené une diplomatie très active. Plusieurs pays africains – la Zambie, la Côte d’Ivoire ou la Gambie – ont ouvert des consulats dans la partie administrée par Rabat. D’autres, comme la Jordanie ou les Émirats arabes unis, ont annoncé leur intention de faire de même.
Le pari de la force
À l'opposé, côté RASD, un soutien historique vacille. L’Algérie de 2020 n’est pas celle des années 1970 ou 1980. L'économie est à bout de souffle, le pays est en proie à une contestation populaire historique et le chef d’État algérien est hospitalisé depuis le 28 octobre dans une clinique allemande. Qui plus est, voir l'Algérie « revenir à la table des négociations permettrait au Maroc de démontrer que le Front Polisario est instrumentalisé par Alger », estime Thierry Desrues.
Impuissance de l'ONU, soutiens défaillants et montée en puissance du Maroc expliquent le regain de tensions au Sahara occidental. Mais les récentes actions du Front Polisario ne changeront pas le rapport de force, précise Khadija Mohsen-Finan, politologue et chercheuse associée au laboratoire Sirice (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe).
Je crois que le conflit va se terminer par la force et par la victoire du plus fort. Ce n'est pas ce qu'on nous enseignait en droit international, mais c'est ce à quoi nous assistons depuis plusieurs années.
« Dans les années 1980, le roi Hassan II avait construit des murs de défense ; la guerre au plan militaire n'était plus envisageable, et le règlement du conflit devait se faire par la voie diplomatique et politique. Vraisemblablement, son fils Mohamed VI, a bâti une autre stratégie, qui est celle de la force. Il ne tient pas à donner une autonomie aux Sahraouis, pas plus qu’il n'envisage un référendum d'autodétermination – il a écarté cette possibilité. Et c'est le signe que, cette fois, il veut reprendre le conflit armé parce qu'il est assuré d'avoir l'avantage militaire. »
Après la reprise des hostilités de ces derniers jours, le roi du Maroc a effectivement haussé le ton et déclaré qu’il « demeurait fermement déterminé à réagir, avec la plus grande sévérité, et dans le cadre de la légitime défense, contre toute menace à la sécurité » du royaume. Un avertissement lancé au Front Polisario, qui a décrété un « état de guerre ».
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