mercredi 22 octobre 2025

Santé, éducation, transparence : les revendications de la Gen Z 212

Lamia Elfehaim, CAREP, 21/10/2025 

Fatiguée des promesses non tenues, une nouvelle génération connectée descend dans la rue pour réclamer santé, éducation et transparence. Face à la dégradation des services publics et à la corruption, la « Gen Z 212 » incarne un mouvement inédit, à la fois social et citoyen, qui bouscule les codes de la contestation au Maroc.

Poussés par des drames sociaux, notamment celui du décès de huit femmes après leur césarienne à l’hôpital Hassan II d’Agadir à la mi-septembre, des rassemblements se sont répandus comme une traînée de poudre dans plusieurs villes marocaines. Ces manifestations sont portées par la « Gen Z 212 », une référence à la génération des manifestants nés entre les années 1990 et 2010 et l’indicatif téléphonique marocain 212. La Gen Z 212 s’organise pour la première fois autour de la plateforme de jeux vidéo interactive Discord, qui rassemble des jeunes d’environ 16 à 30 ans. Le groupe compte plus de 220 000 membres à l’heure actuelle. Leurs revendications ? Une réforme des services publics et la fin de la corruption au Maroc.

Les premiers rassemblements du 27 au 29 septembre ont été réprimés par les autorités marocaines, en raison de l’absence d’autorisation à manifester selon le ministère de l’Intérieur[1]. Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont dévoilé au grand jour les méthodes violentes utilisées par la police : manifestants et passants confondus étaient embarqués de force dans des fourgons de police, des agents en civil empêchaient toute réponse aux questions des journalistes, dont certains ont été arrêtés. Les tensions culminent lors d’un accident où un véhicule de police a heurté un manifestant à Oujda la nuit du lundi 29 septembre. Les jours suivants, cet incident a été suivi par des attaques répétées contre des brigades de polices, menées, en majorité par des mineurs, qui se sont soldées tragiquement par le décès de deux jeunes hommes à Leqliaa[2].

Les moteurs de cette mobilisation inédite puisent un rattachement dans les luttes transnationales – telles que le soulèvement de la même génération au Népal[3] et par le port de Keffieh – et sont à analyser à travers les disparités sociales qui divisent le Maroc.

Un Maroc à deux vitesses 

Plusieurs observateurs ont comparé l’éclatement de la mobilisation Gen Z 212 à une accumulation de tensions sociales, qui a conduit à une éruption populaire. En effet, au cours de ces derniers mois, les frictions sociales se sont multipliées au Maroc, ravivant les frustrations et éveillant les demandes des soulèvements du 20 février 2011. Les deux mouvements reprennent par ailleurs le même triptyque :  démocratie, justice et dignité[4].

Au mois d’avril, une cyberattaque, d’origine présumée algérienne, a causé la fuite de données personnelles du ministère de l’Emploi et de la Caisse nationale de sécurité sociale, provoquant une onde de choc sans précédent car elle a dévoilé les montants à six chiffres des salaires de hauts cadres marocains[5]. Si celle-ci a joué un rôle déclencheur, des tensions en zones rurales – sur l’accès à l’eau, notamment dans l’Oasis de Figuig et les conditions d’extrême précarité non résolues des sinistrés du séisme d’al Haouz – ont quant à elles nourri les consternations citoyennes qui ont eu des répercussions dans les villes

Mais ce sont avant tout les préparatifs entamés par le Maroc en 2025 pour l’organisation de la Coupe du Monde 2030 qui inspirent aujourd’hui les slogans « les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? », « pas de Coupe du monde, la santé d’abord » lors des mobilisations Genz 212, qui appellent à boycotter la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) organisée au Maroc cette fin d’année. Un budget prévisionnel gargantuesque de 322 milliards de dirhams est investi dans la réhabilitation d’infrastructures sportives, la construction du stade de football de Benslimane, considéré comme « un monument sportif et le plus grand stade au monde[6] » et la modernisation des aéroports et le développement des hôtels haut de gamme. La Genz 212 estime que ces projets d’envergure dénotent avec la défaillance des services publics marocains. Certains préparatifs pour la CAN et du Mondial de 2030 ont d’ailleurs eu  un impact négatif sur les Marocains les plus précaires. Ainsi, les plans d’embellissement des villes de Rabat, de Casablanca ou encore de Tanger, ont causé la destruction de logements dans plusieurs quartiers modestes, « insalubres et informels » selon les autorités, souvent sans préavis et sans compensation financière ou relogement équitable[7].

L’organisation d’évènements sportifs d’envergure, présentée comme un accélérateur de développement et un élément de soft power, cristallise les discordes autour d’un Maroc à deux vitesses : l’un porté par une élite, vitrine pour les investisseurs étrangers, et l’autre souffre de carences sociales systémiques et d’un développement inégal. 

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Lamia Elfehaim 

Lamia Elfehaim
Diplômée d’un master de géopolitique de l’Institut français de géopolitique, Paris 8, elle est membre de l’Observatoire Pharos et responsable du dossier « Guerre au Proche-Orient, une analyse multidimensionnelle » au Centre d’études en diplomatie et en relations extérieures (Cedire). Lamia s’intéresse aux dynamiques géopolitiques et sociétales de la région MENA. 

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