jeudi 25 décembre 2025

Le textile marocain face au dragon chinois : les bas salaires ne sont plus déterminants dans la concurrence mondiale

 SOLIDMAR, 25/12/2025

On trouvera ci-dessous notre commentaire analytique sur un entretien du site ouèbe leseco.ma avec Redouane Lachgar, consultant en stratégie industrielle. On peut lire l’entretien ici : Textile. Redouane Lachgar : “L’augmentation annoncée du SMIG accentuera la pression sur les marges”

 


Un choc tarifaire qui ne marginalise pas la Chine, mais redessine les flux

L’un des enseignements majeurs de l’entretien avec Redouane Lachgar tient à la résilience structurelle de la Chine face aux vagues tarifaires décidées par l’administration Trump en 2025. La chute spectaculaire des importations usaméricaines de textile chinois, en recul de 27 % sur les neuf premiers mois de l’année, n’a pas affaibli Beijing sur le plan global. Elle a surtout provoqué un redéploiement rapide et massif de ses exportations vers l’Union européenne.

Les données d’Eurostat citées par le consultant sont sans ambiguïté : entre janvier et octobre 2025, les exportations chinoises d’habillement vers l’UE progressent de 7,2 %, avec des hausses à deux chiffres sur des marchés majeurs comme l’Allemagne (11,1%) ou l’Espagne (16%). Autrement dit, la guerre tarifaire n’a pas réduit la capacité industrielle chinoise ; elle a déplacé la pression concurrentielle vers le marché européen.

Cette évolution met en lumière une réalité souvent sous-estimée : les politiques tarifaires unilatérales modifient les routes commerciales, mais elles ne suffisent pas à démanteler des écosystèmes industriels intégrés et technologiquement avancés.

Saturation des alternatives asiatiques et nouveaux arbitrages des donneurs d’ordre

Lachgar souligne également les limites des pays présentés comme alternatives à la Chine. Le Vietnam et le Cambodge enregistrent certes une forte croissance de leurs exportations, mais celle-ci s’accompagne de tensions logistiques croissantes. La saturation de ces hubs secondaires allonge les délais, renchérit les coûts et conduit à des renégociations tarifaires, réduisant leur capacité à absorber durablement les flux détournés de Chine.

Dans ce contexte, les donneurs d’ordre occidentaux affinent leurs arbitrages autour de trois critères clés : la réactivité, la capacité à produire des volumes importants et la résilience géopolitique. Le Maroc conserve un avantage net sur le premier point, grâce à sa proximité géographique et à sa capacité d’exécution rapide. En revanche, il apparaît moins compétitif sur les volumes et l’intégration industrielle, comme en témoigne la quasi-stagnation de ses exportations vers l’Union européenne, en léger recul de 0,2 % sur la période considérée.

La fin du mythe du bas salaire comme moteur de compétitivité

L’un des apports centraux de l’entretien réside dans la remise en cause du facteur salarial comme clé de lecture principale de la compétitivité textile. Redouane Lachgar rappelle que, dans de nombreux pôles industriels chinois, le salaire minimum oscille désormais entre 260 et 350 dollars, un niveau comparable à celui du Maroc.

Si la Chine continue néanmoins de gagner des parts de marché, c’est en raison d’avantages structurels profonds : une échelle industrielle sans équivalent, une intégration verticale complète — des matières premières aux produits finis —, un recours massif à l’automatisation, à la robotique et à l’intelligence artificielle, ainsi qu’une logistique extrêmement performante, incluant le transport aérien tactique pour sécuriser les délais.

À l’inverse, les pays du pourtour méditerranéen restent largement dépendants des importations chinoises pour les tissus, les accessoires et certains intrants stratégiques. Cette dépendance réduit leur flexibilité, allonge les délais de production et affaiblit leur position dans les négociations avec les donneurs d’ordre.

Le SMIG marocain, entre contrainte sociale et révélateur industriel

La hausse annoncée de 5 % du SMIG marocain en janvier 2026, portant le salaire minimum à 3.422,72 dirhams [=318€], est présentée par Lachgar non comme un problème en soi, mais comme un révélateur des fragilités structurelles du secteur. Dans les segments à faible valeur ajoutée, l’impact est immédiat : une pression accrue sur les marges et un risque de contraction de l’emploi à court terme si la hausse des coûts n’est pas compensée.

À moyen terme, en revanche, cette évolution peut constituer un levier de transformation. À condition qu’elle s’accompagne de gains de productivité, d’investissements dans l’automatisation et d’une montée en gamme vers des produits plus complexes et mieux valorisés. Le message est clair : le Maroc ne peut plus fonder sa compétitivité sur le seul différentiel salarial.

Un changement de régime mondial, plus qu’une crise conjoncturelle

L’analyse de Redouane Lachgar dépasse largement le seul secteur textile. Elle renvoie à un changement de régime plus profond de la compétitivité industrielle mondiale. Désormais, la performance globale de l’écosystème productif prime sur le coût du travail. L’intégration des chaînes d’approvisionnement devient déterminante, et l’IA comme la robotique ne relèvent plus du choix stratégique, mais de la condition de survie.

Dans ce nouveau paradigme, la hausse structurelle des salaires, au Maroc comme ailleurs, apparaît inévitable. L’enjeu n’est donc pas de la freiner, mais de l’absorber par une modernisation accélérée de l’appareil productif.

Conclusion : une fenêtre étroite mais stratégique pour le Maroc

L’entretien met en lumière une réalité sans détour. Le Maroc dispose encore d’atouts réels — proximité, réactivité, stabilité —, mais ceux-ci ne suffisent plus face à des hubs asiatiques hautement intégrés et technologiquement avancés. L’augmentation du SMIG n’est pas la cause des difficultés, elle en est le catalyseur. Sans bascule rapide vers une industrie textile plus automatisée, plus intégrée et orientée vers la valeur ajoutée, l’écart avec l’Asie continuera de se creuser, en dépit des discours sur la relocalisation et la diversification des chaînes d’approvisionnement.

 
1 MMDH = 1 milliard de dirhams = 93 millions d’€

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