mercredi 24 décembre 2025

L’envers de la médaille du colonialisme franquiste au Sahara occidental : « Discrimination et racisme »

Isaías Barreñadaprofesseur de relations internationales à l’Université Complutense, publie un nouveau livre visant à relire de manière critique le colonialisme espagnol sur le territoire sahraoui. 

Des béni-oui-oui sahraouis accueillent des autorités espagnoles à El Ayoun, capitale du Sahara occidental. Fonds Antonio Bustamante

Miguel Muñoz, Publico, 20/12/2025

Traduit par SOLIDMAR

Miguel Muñoz Ortega est un journaliste espagnol. Depuis 2021, il fait partie de la section politique de Público, où il couvre l'actualité du PSOE et de la Moncloa. Il a débuté sa carrière dans la presse d'Albacete. Il s'est spécialisé dans l'information internationale et a travaillé pour La Nación au Costa Rica. En 2014, il a commencé à couvrir la politique et la société pour Cuartopoder. Il a aussi travaillé dans la communication politique institutionnelle. X

« Le colonialisme espagnol au Sahara occidental n’a pas été inoffensif ni bienveillant comme on le présente souvent. » C’est l’une des phrases figurant dans le synopsis d’un nouvel ouvrage consacré à la fin de la présence espagnole dans son ancienne colonie. Un « produit de la dictature franquiste », comme le définit son auteur, alors que l’on commémore les 50 ans de l’abandon du territoire sahraoui.

Isaías Barreñada est professeur de relations internationales à l’Université Complutense de Madrid (UCM). Dans Sahara occidental. 1975 : la fin du colonialisme franquiste (Catarata, 2025), il analyse en profondeur les événements de 1975 et des premiers mois de 1976, en s’appuyant sur une riche documentation historique et des témoignages de protagonistes de l’époque.

« Le livre a deux objectifs. Le premier est de rappeler le caractère franquiste du colonialisme au Sahara. Le second est de contribuer à une relecture critique du fait colonial espagnol au Sahara, en le débarrassant de cette manière paternaliste et, dans une certaine mesure, déresponsabilisante, de le caractériser », explique Barreñada dans un entretien avec Público.

Selon lui, le colonialisme espagnol a été présenté comme non violent par comparaison avec celui de la France en Algérie ou même du Portugal. « Il est vrai que, quantitativement, il y a eu moins de violence. Il y a eu des affrontements assez limités entre le Front Polisario et les autorités espagnoles dans les dernières années. Mais ils ont fait très peu de victimes », précise-t-il.

L’auteur rappelle qu’un discours de « civilisation » ou de « sédentarisation » de la population sahraouie autochtone s’est imposé. « On dit souvent qu’on en a fait des citoyens espagnols, alors qu’il s’agissait de demi-citoyens. Même les autorités ont reconnu par la suite qu’il s’agissait d’une citoyenneté très particulière et que, dans la pratique, ils étaient des citoyens de seconde zone. Cela permettait de masquer des pratiques coloniales et de dissimuler le fait qu’il y avait discrimination, racisme et d’autres formes d’abus », affirme-t-il.

Barreñada rappelle que les Sahraouis étaient relégués au poulailler dans les salles de cinéma, séparés des Blancs, et qu’ils n’avaient pas accès pendant longtemps aux piscines publiques. « Ils gagnaient moins et relevaient d’une justice différente », ajoute-t-il.

« Ce type de réalités est aujourd’hui peu présent dans les discours sur le Sahara », observe-t-il. « Les Sahraouis préfèrent sans doute, de manière aussi tactique, concentrer leurs luttes contre l’occupation marocaine, en laissant de côté la violence espagnole. Mais lorsqu’on creuse un peu, lorsqu’un climat de confiance s’installe, ils reconnaissent qu’ils étaient discriminés et qu’ils n’étaient pas réellement égaux. Cela n’empêche pas qu’il y ait eu des instituteurs espagnols inspirants ou de bonnes relations avec certains colons. »

Les événements de Zemla

Alors que le nationalisme sahraoui n’en était qu’à ses débuts, juin 1970 marque « un jalon dans la construction identitaire » du peuple sahraoui. Il s’agit des événements de Zemla. Le mouvement dirigé par Basiri convoqua une manifestation pour dénoncer les conditions de vie des Sahraouis. Les autorités franquistes réagirent avec brutalité et firent des victimes mortelles parmi les manifestants. Basiri fut arrêté puis disparut. Ce qui s’est réellement passé reste officiellement inconnu.

« Le mouvement de résistance sahraoui s’est heurté au franquisme, pas à une administration libérale. Et le franquisme résolvait les problèmes par la cooptation ou la répression. Et c'est ce qu'ils ont essayé de faire face au mouvement de Basiri. Le problème, c'est que les gens en voulaient plus », explique Barreñada. Les revendications étaient « gradualistes », mais les militants stockaient déjà des armes. « Ils se préparaient à d’autres niveaux de lutte et on leur a répondu par la violence. Basiri a disparu, mais d’autres aussi. Beaucoup ont été emprisonnés, ce qui a accentué la confrontation avec l’Espagne », souligne-t-il. À ce moment-là, quelque chose s'est également brisé avec les chefs de tribu, qui servaient d'intermédiaires entre les Espagnols et le nouveau mouvement nationaliste. À partir de ce moment, leurs revendications incluent la suppression de cette médiation.

« Ces événements ont accéléré la conscience décolonisatrice ». Le Front Polisario est fondé en 1973 et gagne progressivement l’adhésion de la population. « Certains de ceux qui avaient été réprimés ou persécutés à Zemla ont été, après des mois de prison ou d’exil, parmi les fondateurs du Polisario », explique Barreñada. Il y a, di-til, « une certaine  continuité dans la résistance de la part de certains militants.


Arrestation de militants du Front POLISARIO. Photo Revista de la Legión

La visite de l’ONU en mai 1975

Avec un POLISARIO déjà structuré et la pression de l’ONU pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination, le tournant décisif survient en mai 1975. La visite d'une délégation du Comité Spécial de Décolonisation des Nations Unies a donné lieu à des manifestations massives en faveur de l'indépendance dans les principales villes du territoire. « Elles ont surpris tout le monde et ont contribué, à la manière d'un détonateur, à ce que les autorités espagnoles décident l'abandon du territoire », indique le livre. Le POLISARIO s'est alors érigé comme « la force politique dominante » dans le territoire, comme l'a consigné ce Comité de l'ONU.

« Cela a été décisif. Tout le monde vous dit la même chose. Que ce soit un diplomate espagnol, un militaire, un activiste sahraoui, ou des gens ordinaires. Tous disent que tout a changé avec la visite de l'ONU », souligne l'auteur. La soi-disant Opération Hirondelle, qui a servi à rapatrier tous les Espagnols, commence à être conçue au moment où la mission des Nations Unies quitte le territoire, soutient Barreñada.

C'est-à-dire, raconte le professeur de l'Université Complutense de Madrid, qu'entre fin mai et début juin, les militaires disent déjà : « Nous devons préparer l'évacuation. Nous ne savons pas quand elle aura lieu mais il faut la préparer parce que nous partons ». À partir de ce moment-là, les enfants dans les écoles ont dit aux Espagnols que l'année suivante, ils ne commenceraient pas les cours. « Ils avaient déjà pris la décision, il n'a pas fallu attendre la Marche Verte », affirme Barreñada.

Rôle du PSOE et du PCE

Le livre aborde également le rôle joué à l'époque par les partis antifranquistes espagnols comme le PCE ou le PSOE. Concernant les premiers, Barreñada rappelle que leur action s'articulait sur deux plans. D'une part, ceux qui faisaient de la diplomatie entre partis. C'est-à-dire les gens qui étaient à l'étranger, à Moscou ou Prague. Ils représentaient officiellement le parti et étaient en relation avec les partis communistes du monde.

« Ils avaient des relations avec le Parti Communiste Marocain et mettaient dans le même sac les revendications pour la fin du protectorat avec la décolonisation de Ceuta et Melilla et tout ce que disaient les camarades marocains sans faire beaucoup de distinctions », souligne-t-il. Mais dans les structures communistes de l'intérieur de l'Espagne, « ils avaient une perception différente de ce qui se passait au Sahara. Beaucoup des militants communistes étaient punis en étant envoyés au Sahara faire leur service militaire », se souvient l'auteur.

Barreñada souligne qu'à partir de la fin des années 60, il existe des cellules du PCE parmi les soldats espagnols au Sahara. L'auteur a trouvé dans les archives historiques du parti les rapports qu'ils envoyaient de manière anonyme. Outre les démarches pour recruter plus de militants dans l'Armée, ces documents abordent les conditions « coloniales » dans lesquelles vivent les Sahraouis. « C'était un discours totalement différent de celui du département des relations internationales du PCE à Prague », affirme l'auteur.

Ce n'est qu'en 1975, précisément après la visite de la mission des Nations Unies, qu'un tournant a lieu. La position de Cuba, qui a commencé à soutenir [le POLISARIO], probablement influencée par la diplomate Marta Jiménez, l'une des participantes au Comité de l'ONU, a également joué, indique Barreñada. Santiago Carrillo lui-même a reconnu le changement abrupt de position.

Quant au PSOE, avec « beaucoup moins d'implantation » à ce moment-là, son cas fut différent. Barreñada souligne qu'il y avait certaines personnes avec des préoccupations « décoloniales » et que les socialistes ont dénoncé les Accords de Madrid par lesquels le territoire saharoui a été cédé en novembre 1975. Mais dans les actes de leurs congrès de l'époque, il n'y a pas une seule mention du Sahara, selon lui. « Au congrès de Suresnes (1974) on ne dit rien du colonialisme, par exemple. Ce sont des choses très frappantes », affirme-t-il.

Ensuite, en novembre 1976, Felipe González a visité les camps de réfugiés à Tindouf où il a promis son soutien au Sahara « jusqu'à la victoire finale ». Le POLISARIO a été invité au Congrès du PSOE en décembre 1976.

Dans ce contexte, Barreñada insiste sur le fait que ceux qui se sont mobilisés plus tôt étaient les organisations de gauche plus radicales comme une scission du PCE, le PCE (m-l), le FRAP ou la LCR. Les premiers sont allés jusqu'à envoyer un bateau depuis les Canaries avec de l'aide pour le Sahara.

 Couverture du du livre d'Isaías Barreñada

Reste-t-il des choses à savoir ?

Avec la nouvelle Loi sur les Secrets Officiels tant attendue, approuvée en Conseil des Ministres mais pas encore adoptée par le Parlement, des questions liées à la sortie de l'Espagne du Sahara Occidental devraient être connues, puisqu'il s'est écoulé 50 ans. Reste-t-il des choses à savoir ? Barreñada évoque les détails sur la répression. « Que s'est-il passé avec les gens qui ont disparu ou qui ont été réprimés ? Nous parlons aussi de peu de cas en comparaison avec les horreurs de l'Algérie ou d'autres endroits. Il y a une partie là-dedans qui est diluée et on ne sait pas très bien ».

D'autre part, le plus « sensible » pour l'auteur a trait « à la prise de décision durant les derniers mois du franquisme » et l'implication des autorités. Il prend comme exemple la figure de Juan Carlos Ier ou le rôle de Kissinger. « Ce qui se passe, c'est que beaucoup d'informations ont pu être reconstituées à partir d'archives de l'extérieur. Il faudrait les confirmer avec les archives d'ici et voir si tout concorde tel que ça a pu être reconstitué », ajoute-t-il.

« Je crois qu'il y a déjà une connaissance assez complète, plus ou moins, de ce qu'il y a eu. Mais il est possible que nous ayons encore une vision plus nette. Mais je crois que cela a plus à voir avec les manœuvres qu'a utilisées le Maroc pour se rendre indispensable auprès des USA et comment cela a correspondu à son besoin de garantir une transmission du pouvoir en Espagne de Franco à Juan Carlos pour ne pas mettre en péril ses intérêts », affirme Barreñada.

Le professeur rappelle qu'à cette époque, la renégociation des accords militaires et des bases était en suspens. « Ce que voulaient les USA, c’était que celui qui viendrait après Franco ne remette pas en cause ce qui avait été construit depuis 1953. C'était l'objectif », indique-t-il.

Des Sahraouis sympathisants du Front Polisario manifestant à El Ayoun quelques jours avant la Marche verte, fin octobre 1975. AFP

Barreñada souligne également quelques questions liées à la période d'Arias Navarro, c'est-à-dire après la mort de Franco. « Il y a des questions liées aux intérêts économiques. Il faut se souvenir que les accords tripartites avaient des annexes économiques qui ont été connues un ou deux ans après. Il y a des témoins qui parlent de gens qui ont profité du départ [des Espagnols] et des indemnisations. Tous ces détails ne sont pas suffisamment connus. Il y a des gens qui ont fait des affaires avec le départ et nous avons très peu de données là-dessus », précise-t-il.

Il n'y a pas non plus de données, poursuit Barreñada, sur la façon dont a été gérée la participation espagnole dans l'entreprise de phosphates Fosbucra. Jusqu'aux années 2003-2004, l'Espagne en a été copropriétaire. « Je me souviens d'une conversation à la SEPI (Société d'État de Participations Industrielles) à cette époque et ils nous ont avoué qu'ils n'étaient pas allés au Conseil d'Administration de Fosbucra depuis de nombreuses années. Ils reconnaissaient verbalement qu'il n'y avait aucune information. Tous ces éléments nous manquent pour avoir une idée plus claire », conclut-il.



Saharauis simpatizantes del Frente Polisario manifestándose en El Aaiún días antes de la Marcha Verde a finales de octubre de 1975. AFP

También destaca Barreñada algunas cuestiones que tienen que ver con con el periodo de Arias Navarro, es decir, después de la muerte de Franco. "Hay cuestiones ligadas a los intereses económicos. Hay que recordar que los acuerdos tripartitos tenían unos anexos económicos que se conocieron un par de años de después. Hay testigos que hablan de que hubo gente que se benefició de la salida y las indemnizaciones. Todos esos detalles no se conocen suficientemente. Hubo gente que hizo negocio con la salida y de eso tenemos muy pocos datos", apunta. 

Tampoco hay datos, continúa Barreñada, sobre cómo se gestionó la participación española en la empresa de fosfatos Fosbucrá. Hasta los años 2003-2004 España fue coproprietaria. "Yo recuerdo una conversación en la SEPI en esa época y nos reconocieron que llevaban muchos años sin ir al Consejo de Administración de Fosbucrá. Te reconocían verbalmente que no había nada de información. Todos esos elementos nos faltan para tener una idea más clara", concluye. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire