Julie Chaudier 
CAN 2025: comment le Maroc utilise le football comme outil diplomatique pour servir surtout ses propres intérêts
Depuis qu'il a obtenu l'organisation de la Coupe d'Afrique des nations 2025 et de la Coupe du monde 2030, le royaume ne cesse de répéter qu'il défend les ambitions d'un continent tout entier. En réalité, le pouvoir marocain fait avant tout valoir ses intérêts nationaux, dans un contexte populaire marqué par le racisme anti-Noirs.

samedi 20 décembre 2025

CAN 2025 : le modèle économique derrière le spectacle

Quelques heures avant le coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 ! Le Maroc s’est mis au rythme et aux couleurs du football continental. Drapeaux, couleurs, annonces, logistique, tout y est et tout est sorti de terre en un rien de temps. Ça doit coûter cher tout ça non ? Comment se finance un tel événement sportif à l’échelle d’un pays ?

 Sabrina El Faiz, lebrief.ma, 20/12/2025

À Rabat, les drapeaux ont poussé comme des champignons. Vert, rouge, jaune, parfois bleu avec une pointe de noir, ils se hissent près des lampadaires, planent au-dessus des trottoirs, se suspendent aux façades administratives. Le tramway a fait peau neuve aussi. Plus beau que jamais sur ses rames, des slogans à la gloire de la CAN rappellent aux voyageurs que le compte à rebours est lancé. À chaque station, on comprend que l’Afrique et le monde auront les yeux rivés sur le Maroc.


Même son de cloche à Casablanca. Devant la gare Casa Voyageurs, les taxis rouges sont décorés d’autocollants aux couleurs de la CAN. Certains chauffeurs ont mis un petit drapeau sur le tableau de bord. Du marketing et du nationalisme, le tout en un ! Dans les cafés du centre-ville, les écrans repassent déjà des images d’anciennes éditions, les discussions vont bon train entre pronostics sportifs et préoccupations plus prosaïques entre les billets, déplacements, prix des hôtels… On s’insurge face à la hausse des prix, comme si les Casablancais allaient louer une chambre d’hôtel dans leur propre ville.

 

À Marrakech, l’agitation arrive autour des grands axes, les banderoles officielles se mêlent aux affiches touristiques. La ville ocre n’en est pas à son premier coup d’essai. Après la COP 22, le FMI, les très nombreux congrès, Marrakech a l’habitude de se plier en quatre pour ses invités. Les hôtels se préparent, les compagnies de transport révisent leurs horaires, les guides touristiques attendent les touristes de tout le continent. On sent qu’il se passe quelque chose !

 

Et pour en arriver là, des mois de préparation, de coordination entre ministères, collectivités locales, établissements publics et organisateurs sportifs. Et dire qu’il y a encore quelques jours, l’on se demandait s’il se passait réellement quelque chose. La CAN mobilise des villes entières, redessine provisoirement l’espace public, impose un rythme spécifique aux transports, à la sécurité, aux services urbains… Le pays hôte vit quelques semaines au rythme d’un événement continental.

 

C’est beau toutes ces couleurs, vraiment. Mais comment faisons-nous pour payer tout ça ? Organiser une CAN, et encore plus à l’échelle prévue pour 2025, implique des investissements massifs pour les rénovations et constructions de stades, les infrastructures urbaines, les dispositifs de sécurité, la logistique, la communication… et on passe. Autant de postes qui, additionnés, forment une enveloppe globale difficile à appréhender dans son ensemble.

 

À l’inverse d’un événement ponctuel financé par une seule ligne budgétaire, la CAN s’insère dans un réseau de projets préexistants, accélérés ou remodelés pour les besoins de la compétition. Un stade rénové par-ci, une voirie réhabilitée par-là, un équipement de transport modernisé… Officiellement, tout n’est pas lié à la CAN. Officieusement, l’événement sert de catalyseur, débloquant des chantiers parfois en suspens depuis des années. Un grand bonjour à la gare de Rabat Ville au passage !

 

Les montants annoncés publiquement donnent des ordres de grandeur mais ne rendent pas compte de toutes les dépenses directes et indirectes. S’ajoute à cela la difficulté de séparer ce qui relève de l’événement sportif de ce qui relève de politiques publiques plus générales (infrastructures, développement urbain). L’on peut donc avancer qu’il s’agit d’un modèle de financement hybride, entre fonds publics, partenariats privés et revenus propres (droits de diffusion, billetterie…). Un modèle qui marche à l’échelle continentale, sous la houlette de la Confédération africaine de football.

 

À l’approche de la date, ces questions prennent de l’ampleur. Non pas pour contester l’événement en lui-même, non il s’agit d’une véritable vitrine sportive et diplomatique, mais pour essayer d’en décrypter les enjeux économiques. À quoi sert une CAN, au-delà du spectacle ? Quels résultats espérer, à court et à long terme ? Et comment mesurer, a posteriori, un événement dont les retombées, positives ou négatives, se répandent bien au-delà du coup de sifflet final ?

C’est ce match-là que nous avons envie de décrypter.

Can 2025 : un budget global difficile à définir

 

Il n’y a pas encore de bilan conducteur avec un budget consolidé et final de la CAN 2025 au Maroc. Aucun document ne rassemble, dans une seule enveloppe, toutes les dépenses réalisées pour l’événement. Les chiffres annoncés sont plutôt des estimations globales, agrégées à partir de projets séparés, menés par différents acteurs publics.

 

Les chiffres qui circulent dans l’espace public tournent autour de 20 milliards de dirhams, un ordre de grandeur souvent repris par les médias. Ce montant comprend essentiellement les dépenses d’infrastructures sportives (rénovation de stades existants et construction de nouveaux stades) et d’aménagements connexes nécessaires à l’accueil de la compétition.

 

Cette non consolidation est due à la nature de l’événement, évidemment. Une CAN ne se finance pas comme un seul projet isolé. Elle intègre plusieurs politiques publiques déjà mises en œuvre (équipements sportifs, urbanisme, mobilité). Plusieurs chantiers engagés ou accélérés à l’occasion de la compétition étaient initialement prévus dans des programmations détachées du calendrier sportif.

 

La plupart des dépenses de la CAN 2025 s’étale sur plusieurs exercices budgétaires. Les chantiers de rénovation de stades, par exemple, ont été lancés avant même l’annonce de l’attribution de la compétition, puis adaptés aux normes de la Confédération africaine de football. Ces modifications ont parfois conduit à des révisions de coûts, sans que celles-ci soient toujours justifiées comme étant dues à la CAN elle-même.

 

Les projets d’infrastructures de transport obéissent à la même logique. L’amélioration de certaines routes, la modernisation d’axes urbains ou l’adaptation de réseaux de transport public sont officiellement motivées par des objectifs de mobilité à long terme. Leur lien avec l’événement sportif est bien présent, mais pas toujours quantifié séparément.

 

A cela s’ajoute la variété des maîtres d’ouvrage. Les ministères, les collectivités territoriales, les établissements publics, certaines sociétés d’aménagement agissent chacun dans leur champ, avec leurs budgets, leurs calendriers. Cette division rend difficile toute addition exacte.

 

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