Mohamed Ben Abdelkrim El-Khattabi dit « Abdekrim », vivant dans la partie du Maroc sous contrôle de Madrid, lève l’étendard de la révolte contre l’occupant espagnol en 1921. Il lui inflige une cuisante défaite à Anoual (juillet 1921). En Espagne, le général Miguel Primo de Rivera prend le pouvoir en septembre 1923, installant une des premières dictatures d’extrême droite d’Europe. Rageusement, Madrid va répliquer par une guerre d’une cruauté inouïe, utilisant massivement l’arme chimique (d’ailleurs fournie alternativement par les deux anciens ennemis, la France et l’Allemagne).
En avril 1925, les troupes d’Abdelkrim empiètent sur le territoire du Haut-Ouergha, dans le Maroc français. Occasion rêvée pour le colonialisme français de mater ce dissident devenu menaçant. La France est alors dirigée par un gouvernement de gauche, dit « du Cartel » (Paul Painlevé est président du Conseil), dirigé par le Parti radical, soutenu par la Section française de l’internationale socialiste (SFIO). Nationalistes à Madrid, hommes d’une certaine gauche à Paris : il n’y a pas de barrières idéologiques quand il s’agit de défendre la civilisation occidentale.
Au plus fort de la guerre, Abdelkrim dispose de 75 000 hommes, pour seulement 30 000 fusils. En face, la France et l’Espagne aligneront un corps expéditionnaire énorme (120 000 combattants, 400 000 supplétifs), disposant d’une supériorité matérielle écrasante (artillerie lourde, chars, aviation), utilisant les armes les plus terribles, dont des bombes chimiques.
« Il faut de l’aviation »
Lorsque la France entre dans le conflit, le maréchal Hubert Lyautey préside aux destinées du pays depuis treize ans, malgré la fiction du protectorat qui ne trompe personne. Il mènera une guerre sans pitié contre Abdelkrim. Sans pitié, mais sans guère de résultats. Bien des postes français sont isolés, et Fez paraît même un instant menacée. La personnalité et la politique du maréchal Lyautey sont de plus en plus remises en cause à Paris, d’autant qu’une vieille méfiance l’amène à s’opposer à toute manœuvre commune avec les Espagnols. Le 14 juillet 1925, le gouvernement décide d’envoyer en inspection le maréchal Philippe Pétain. Camouflet supplémentaire pour Lyautey, qu’une inimitié réciproque (et de notoriété publique) oppose à Pétain. Le sens de la mission de ce dernier est net : « Il faut renforcer les effectifs, il faut de l’aviation, il faut intensifier notre action. »1 Mais cette mission a également une signification diplomatique : la seule parade imaginable à la menace rifaine est de sceller un pacte avec les Espagnols. Fin juillet ont lieu à Madrid, puis à Ceuta, les premiers entretiens entre Pétain et Primo de Rivera. C’est à cette occasion, semble-t-il, que Pétain rencontre pour la première fois Francisco Franco, colonel et patron de la Bandera, la Légion espagnole. Une complicité de vingt années commence.
En septembre, Lyautey est rappelé à Paris. Il subit des remontrances des politiques et, surtout, il apprend la nomination de Pétain comme commandant en chef, qui passe donc d’une mission temporaire à une fonction permanente. C’en est trop. De retour au Maroc le 15 septembre, il démissionne le 24. Il est remplacé par Théodor Steeg, le ministre de la justice, mais c’est Pétain qui a désormais les pleins pouvoirs militaires.
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L’initiative concertée peut commencer : les Espagnols envoient un corps expéditionnaire au nord (Alhucemas, 8 septembre 1925) pendant que les Français attaquent par le sud. Début décembre, la presse annonce que Pétain va se rendre de nouveau à Madrid. Primo de Rivera déclare devant le conseil des ministres du 8 décembre 1925 que la France, « désirant donner une preuve de ses sentiments d’amitié envers l’Espagne, avait décidé qu’une visite serait faite prochainement à Madrid par le maréchal Pétain ». Les deux hommes se rencontrent effectivement le 25 du même mois à Madrid, puis le 28 à Tétouan, afin de combiner leurs opérations2.
L’utilisation des armes chimiques
Lors de l’hiver 1925-1926, le territoire d’Abdelkrim fait figure de forteresse assiégée. Comme il l’avait promis, Pétain mène une guerre de grande envergure. Le gouvernement lui a accordé les moyens demandés. Alors qu’en juillet, Lyautey n’avait obtenu que 2 bataillons de renforts, le nouveau commandant en chef en obtient 36 ! Surtout, la coopération militaire entre les deux pays — dont l’un utilisait des armes chimiques depuis 4 ans — devait déboucher sur une aggravation de la guerre chimique. On sait aujourd’hui que l’armée française a alors utilisé des obus au phosgène, à la chloropicrine (obus no. 7) et à l’ypérite3.
Pétain rentre en France le 6 novembre. À son arrivée à Marseille, il lâche : « Abdelkrim est encerclé. Il n’est plus à craindre. L’action militaire est terminée. Je passe la main à la politique »4 « L’action militaire est terminée »… ce n’est alors vrai qu’en partie. Il reste l’ultime assaut. Mais on peut penser qu’avec cette formule, il embarrassait son illustre prédécesseur : Pétain avait réussi là où Lyautey avait piétiné, et son successeur, le général Edmond Boichut (si Abdelkrim ne s’était pas rendu, c’eût été sa faute). Quant à la formule « Je passe la main à la politique », elle faisait allusion aux pourparlers d’Oujda entre Abdelkrim et des émissaires français, qui échouèrent. Le militaire Pétain était également un fin politique : dans tous les cas de figure, il apparaissait comme le seul vainqueur, il dégageait sa responsabilité de tout échec éventuel.
Début 1926, la guerre prend une autre dimension. Les Français alignent 48 bataillons, 17 batteries, 2 compagnies de chars et 3 escadrilles d’avions. Les armes chimiques, que Paris avait longtemps refusées à Lyautey, font désormais partie de l’arsenal français5. Comme l’écrira, presque au terme des combats, le général Niessel, inspecteur général de l’aéronautique : « Nous exécutons sur le front nord du Maroc de véritables opérations de guerre »6.
L’offensive finale est déclenchée le 8 mai 1926. Finalement, face à la supériorité mécanique des armées française et espagnole, Abdelkrim se soumet, le 27 mai. Au terme d’une guerre éprouvante, 100 000 des siens, combattants tués au front ou civils bombardés par des armes chimiques, avaient perdu la vie.
Grand-croix de la Légion d’honneur
Le 14 juillet suivant, sous l’Arc de Triomphe, le général Primo de Rivera, « pantalon rouge vif soutaché d’argent, tunique bleu sombre coupée du cordon de la grand-croix de la Légion d’honneur, shako pastel et or que couronne un plumet blanc »7 est l’invité d’honneur. Il est entouré du président Gaston Doumergue, d’Aristide Briand, président du Conseil (il a succédé à Painlevé) et, pour faire bonne mesure, du sultan Moulay Youssef.
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