La lettre n’était pas destinée à être diffusée mais elle a pourtant été divulguée dans plusieurs médias marocains.
Dimanche, le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita a ainsi détaillé dans un courrier au chef du gouvernement Saâdeddine el-Othmani la décision de Rabat de « suspendre tout contact » avec l’ambassade d’Allemagne au Maroc, en raison de « malentendus profonds » avec Berlin sur différents dossiers, dont la question du Sahara occidental.
Tous les « départements ministériels sont priés de suspendre tout contact, interaction ou action aussi bien avec l’ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés », indique ce courrier officiel.
« Le ministère des Affaires étrangères a également pris la décision de suspendre tout contact ou démarche avec l’ambassade », poursuit la lettre évoquant de « profonds malentendus » avec l’Allemagne au « sujet de questions fondamentales pour le Maroc.
« Le Maroc souhaite préserver sa relation avec l’Allemagne, mais c’est une forme d’alerte exprimant un malaise sur de nombreuses questions », a confirmé à l’AFP un haut responsable du ministère des Affaires étrangères joint par l’AFP lundi soir. « Il n’y aura pas de contact tant que des réponses ne seront pas apportées sur différentes questions qui ont été posées », a-t-il souligné.
Quels sont ces points de friction ?
La position allemande sur le Sahara occidental
Selon le haut responsable des Affaires étrangères, la position de l’Allemagne sur le Sahara occidental serait au cœur de ces tensions.
Berlin, « drapé derrière la formule diplomatique consacrée de la ‘’solution politique juste, durable et acceptée entre les deux parties sous les auspices des Nations unies’’ », comme le rappelle le site marocain Yabiladi, n’a pas caché ses réserves sur la décision de Donald Trump de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange d’une normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël.
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« Être porte-plume [des résolutions sur le Sahara occidental] vient avec de la responsabilité. Cela s’accompagne d’un engagement fort pour résoudre un problème, il faut être juste, il faut être impartial, il faut avoir à l’esprit l’intérêt légitime de toutes les parties et il faut agir dans le cadre du droit international », avait déclaré l’ambassadeur allemand à l’ONU Christoph Heusgen le 24 décembre. « La solution définitive du problème doit s’effectuer dans un cadre onusien, conformément aux résolutions internationales y afférentes », avait-il aussi insisté.
Et alors que dans les milieux diplomatiques, il ne fait aucun secret que Berlin refuse de changer de position sur le sujet, le site d’informations marocain leDesk rapporte une autre anecdote qui aurait « fortement déplu à Rabat » : samedi 27 janvier, le drapeau du Front Polisario a été hissé quelques heures devant le Parlement régional allemand de Brême après l’appel du nouveau président autrichien de l’intergroupe pour le Sahara occidental, Andreas Schieder, à l’Union européenne et au Comité international de la Croix-Rouge pour qu’ils réagissent aux « exactions » du Maroc.
La mise à l’écart des négociations sur la Libye
Avant cela, Rabat n’avait déjà pas apprécié d’être tenu à l’écart, tout comme la Tunisie, de la conférence internationale sur la Libye à Berlin en janvier 2020. Et le Maroc avait, à l’époque, officiellement exprimé son « profond étonnement » via un communiqué des Affaires étrangères.
« Le royaume a toujours été à l’avant-garde des efforts internationaux pour la résolution de la crise libyenne. Le royaume ne comprend ni les critères, ni les motivations qui ont présidé au choix des pays participant à cette réunion », avait-il rappelé en taclant l’Allemagne, ce « pays hôte qui, loin de la région et des complexités de la crise libyenne, ne saurait la transformer en instrument de promotion de ses intérêts nationaux ».
Si bien qu’en octobre 2020, Nasser Bourita avait décliné l’invitation de son homologue allemand à une nouvelle conférence en marge de l’Assemblée générale des Nations unies.
« Cette invitation intervient comme une tentative d’intrusion par effraction, à un moment où se tient à Bouznika [cycle de pourparlers initié par le Maroc en septembre] une nouvelle session du dialogue inter-libyen », notait alors le site le360.
Début décembre, le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita avait salué dans un communiqué « l’excellence de la coopération bilatérale entre les deux pays » après un entretien téléphonique avec le ministre allemand de la Coopération économique et du Développement, Gerd Müller.
Berlin venait alors de débloquer une enveloppe de 1,387 milliard d’euros d’appui financier, dont 202,6 millions d’euros sous forme de dons, le reste sous forme de prêts bonifiés, en soutien aux réformes du système financier marocain et en aide d’urgence pour la lutte contre le COVID-19.
L’ « ingérence » des fondations allemandes
Un autre sujet de tension mine depuis plusieurs années les relations entre les deux pays : les fondations politiques allemandes.
En décembre 2019, la lettre confidentielle Africa Intelligence révélait que le ton était monté d’un cran entre Rabat et Berlin à propos des fondations Konrad Adenauer, Friedrich Ebert, Friedrich Naumann et Hanss Seidel et que la négociation du « partenariat pour les réformes multisectorielles » avait été interrompue.
« Ce programme richement doté – 571 millions d’euros pour la période 2020-2022 – avait pourtant fait l’objet d’un mémorandum signé le 29 novembre à Berlin. Parties prenantes de ces discussions, les fondations demandent d’obtenir un statut spécifique au Maroc, qui les considère comme de simples associations », expliquait la lettre.
Mais cette revendication, portée par l’ambassadeur d’Allemagne à Rabat Götz Schmidt-Bremme, avait été rejetée par le ministre de l’intérieur, Abdelouafi Laftit, et celui des affaires étrangères, Nasser Bourita. Les subventions qu’elles accordent à certaines ONG marocaines - dont l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) - constituant, selon le ministère de l’Intérieur, une « ingérence ».
En 2015, l’ancienne directrice de la fondation Friedrich Naumann au Maroc, Andrea Nüsse, avait quitté le Maroc, selon son entourage « à la suite de pressions des autorités marocaines », rappelle leDesk. « Les autorités marocaines lui avaient donné un délai de 24 heures pour quitter le territoire, sa présence au Maroc n’était plus souhaitable. Les autorités auraient pris cette décision en raison du soutien apporté par la fondation allemande à des activités considérées comme ‘’nuisibles aux intérêts de l’État’’. »
Le cas Mohamed Hajib
Plusieurs médias marocains évoquent enfin un autre sujet de discorde : l’affaire du germano-marocain Mohamed Hajib.
Arrêté en 2009 lors d’un voyage au Pakistan, Mohamed Hajib, d’abord détenu sur place puis arrêté en Allemagne avant d’être relâché à la condition qu’il retourne au Maroc, avait été condamné à dix ans de prison – une peine ramenée deux ans plus à cinq ans – pour des infractions liées à du « terrorisme ».
Libéré en 2017, il avait à sa sortie de prison réclamé 1,5 million d’euros de dommages et intérêts à l’Allemagne, qu’il accuse de l’avoir poussé vers le Maroc en 2010, où il dit avoir été torturé.
« Je dors rarement la nuit parce que j'ai peur de rêver. Les autorités allemandes ont détruit ma vie», avait-il confié à des médias allemands Spiegel et Tagesschau.de.
Alors qu’il purgeait sa peine au Maroc, Amnesty International avait, en 2011, exhorté les autorités marocaines à enquêter sur des allégations indiquant que Mohamed Hajib avait été torturé et menacé de viol pendant sa détention.
Après un examen détaillé de l’affaire, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU était parvenu à la conclusion que l’arrestation de Hajib était arbitraire et avait appelé en 2012 le gouvernement marocain à le libérer immédiatement et à l’indemniser.
Installé aujourd’hui en Allemagne, il avait annoncé en août 2020 sur Facebook faire l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par le Maroc. Le 8 février 2021, il s’était réjoui dans un tweet qu’Interpol retire son nom de la liste des personnes recherchées, qualifiant cette décision de « coup dur pour la police marocaine ».
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