par Denis Sieffert
publié le 18 avril 2018
Inflexible
avec les cheminots, sourd aux projets alternatifs de
Notre-Dame-des-Landes, cassant à l’égard des étudiants, il s’est montré
magnanime avec les grands délinquants de l’évasion fiscale.
Que peut-on espérer de l’interview d’un président
de la République ? Certainement pas qu’il abjure sa doctrine, en
direct, même sous les coups de boutoir de journalistes pugnaces. Tout au
plus qu’il découvre son vrai visage, et laisse paraître la réalité des
intérêts qu’il défend. À cet égard, l’entretien du dimanche 15 avril,
mené par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, a été un modèle du genre.
Emmanuel Macron est apparu tel qu’en lui-même, président des riches et
fier de l’être. On me dira que nous avions déjà notre petite idée sur la
question… Mais il s’agit d’en convaincre ceux qui peuvent encore en
douter. En une année d’exercice du pouvoir, le personnage qui prétendait
transcender le clivage gauche-droite est devenu une figure banale du
néolibéralisme. Et, quoi qu’il s’en défende, un adepte caricatural de la
théorie du « ruissellement », cette doctrine qui commande de beaucoup
donner aux riches en priant le ciel pour que ceux-ci fassent ensuite
retomber quelques gouttelettes de leurs profits sur les classes moyennes
et inférieures.
Dimanche, l’échange musclé sur l’évasion et la
fraude fiscales en a été une parfaite illustration. Inflexible avec les
cheminots, sourd aux projets alternatifs de Notre-Dame-des-Landes,
cassant à l’égard des étudiants, il s’est montré magnanime avec ces
grands délinquants. Et, comme souvent, tout commence par le choix des
mots. Ne dites pas « fraude » mais « optimisation », a-t-il
rectifié. Au comble de l’audace, certains osent même parler «
d’optimisation agressive ». À ceux qui s’y adonnent, Emmanuel Macron
refuse « de faire la morale ». Il s’est employé à justifier
l’une des mesures phares de sa première année à l’Élysée : la
suppression de l’impôt sur la fortune pour les revenus financiers. Mais
en se livrant à un très significatif tour de passe-passe. « On a gardé [l’ISF] quand l’argent est investi dans l’immobilier mais on l’a enlevé pour tout ce qui était investi dans l’économie »,
a-t-il affirmé. Faux ! L’ISF a été supprimé pour tous les revenus du
capital, même quand ils ne sont pas investis dans l’économie. Que ce
soit pour de juteux placements financiers ou pour l’achat d’un yacht.
C’est sans doute ce que le milliardaire Bernard Arnault avait pressenti
pendant la campagne électorale du candidat Macron en saluant « un programme de liberté et de stimulation du succès économique »…
Un récent document remis par la France à Bruxelles prédit que les
cadeaux fiscaux aux riches (quelque 12 milliards d’euros) créeront 260
000 emplois… en 2025. À condition que les bénéficiaires de la générosité
d’État n’achètent pas trop de yachts… Pour les services publics amputés
dès maintenant, c’est ce qui s’appelle lâcher la proie pour l’ombre.
En deux heures et demie d’interview, Emmanuel Macron
n’a donc cessé de confirmer son ancrage à droite. Pas un signe
d’ouverture en direction des cheminots. Pas même l’assurance de la
reprise de la dette de la SNCF par l’État, sinon « progressivement »,
et à condition que la réforme s’applique intégralement. Il s’est aussi
livré à une assez déplaisante variation sur le thème de la « solidarité
». Une fois pour confirmer le délit du même nom visant ceux qui portent
secours aux migrants ; et une autre fois pour qualifier une journée non
payée que les salariés pourraient devoir prochainement à l’État. Un
impôt supplémentaire, en somme.
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