David
Rich, France24, 21/2/2025
Pour son
édition 2025, le Salon de l’agriculture déroule le tapis rouge au Maroc, choisi
comme invité d’honneur de l'événement qui ouvre ses portes samedi près de
Paris. Client privilégié de l’industrie céréalière française, Rabat est
également l’un des principaux exportateurs de fruits et légumes dans
l’Hexagone, à des prix très attractifs. Certains élus et agriculteurs
dénoncent une concurrence déloyale.
Emmanuel
Macron invite Mohammed VI au Salon de l’agriculture sur fond de tensions
autour de l’accord de libre-échange avec le Maroc
Cette
invitation, à laquelle le souverain marocain n’a pas encore répondu, intervient
alors que les principaux syndicats d’agriculteurs français dénoncent la
« concurrence déloyale » des tomates marocaines.
Alexandre Aublanc (Casablanca,
Maroc, correspondance), Le Monde, 12/2/2025
Mohammed VI
se rendra-t-il au Salon international de l’agriculture en compagnie d’Emmanuel
Macron ? Selon nos informations, le président français a convié le roi du Maroc à assister à la grand-messe
annuelle du monde agricole qui aura lieu à Paris du 22 février au
2 mars. Le monarque n’a pas encore répondu à l’invitation de l’Élysée,
mais son déplacement officiel, s’il se confirme, serait son premier en France depuis
2018. [NDLR SOLIDMAR : le roi ne s’est pas rendu à Paris]
Le
choix du Salon de l’agriculture n’est pas anodin. Pour
la première fois, la manifestation mettra à l’honneur un pays, en l’occurrence
le Maroc. Une décision qui « reflète l’importance des partenariats
agricoles qui nous lient », expliquent les organisateurs. Difficile
cependant de ne pas y voir le prolongement du rapprochement bilatéral conclu
en 2024 à l’issue d’une séquence diplomatique en deux temps : la
reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, en
juillet, puis la visite du président français à Rabat, en octobre.
A
Paris, une importante délégation marocaine est attendue, alors que de part et
d’autre les échanges agricoles ont bondi, tirés par la croissance des
exportations françaises de céréales et par la hausse des exportations marocaines
de fruits et légumes. Le regain de confiance entre les deux pays pourrait
toutefois pâtir des nouveaux rapports de force syndicaux en France. Avec, en
toile de fond, une poussée de la contestation contre l’accord agricole noué
entre l’Union européenne (UE) et le Maroc. Symbole de la « concurrence
déloyale » dont les agriculteurs de l’Hexagone se disent victimes :
la tomate cerise marocaine, exemptée de droits de douane moyennant quotas.
Sur
cette question, les sujets de friction des deux côtés de la Méditerranée ne
sont pas nouveaux. Quand les producteurs marocains assurent respecter les
normes européennes et vouloir être compétitifs, leurs homologues français leur
reprochent l’utilisation d’insecticides interdits dans l’UE et le faible coût
de leur main-d’œuvre, dont découleraient des prix cassés dans la grande
distribution. Vendue en France à 0,99 euro, la barquette de
250 grammes de tomates cerises allongées produites dans la région d’Agadir,
dans le sud du Maroc, ou dans celle de Dakhla, au Sahara occidental,
cristallise toutes les tensions.[NDLR SOLIDMAR : 85% des volumes des tomates cerises vendues en France proviennent du Maroc].
Opérations
coup de poing
L’exaspération
des agriculteurs français a culminé en 2024. Des milliers de tomates
marocaines avaient alors été déversées sur les routes et les parkings des
supermarchés. En première ligne de ces opérations coup de poing, la
Coordination rurale a réalisé une percée historique dans les chambres
d’agriculture, laissant augurer d’un raidissement des positions syndicales
françaises. Au marché Saint-Charles International de Perpignan, où transitent
les tomates marocaines, des alertes ont été lancées ces derniers jours en
prévision de possibles actions de représailles.
A
cette colère, le score du Rassemblement national (RN) aux dernières
législatives, qui a fait du parti présidé par Jordan Bardella le premier groupe
politique au Palais-Bourbon, offre désormais un débouché politique. Sans en
être à l’origine, la formation d’extrême droite entretient des liens étroits
avec la Coordination rurale. Parmi les sympathisants du syndicat, 47 % des
personnes sondées disaient vouloir voter pour le RN à l’élection européenne de
juin 2024, selon le Centre de recherches politiques de Sciences Po
(Cevipof). Et de nombreux députés RN en milieu rural ont fait de la
dénonciation des accords de libre-échange leur cheval de bataille.
Parmi
eux, Hélène Laporte, élue du Lot-et-Garonne. Ce fief de la Coordination rurale
abrite, après les Bouches-du-Rhône, les plus vastes cultures de tomates
françaises. Récemment
portée à la tête du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale,
la députée RN a répété ces derniers mois vouloir « engager un processus
de révision des accords ». « Je pense notamment à celui qui nous lie
au Maroc et qui prévoit des exonérations de droits de douane sur l’importation
de tomates », a-t-elle déclaré dans l’Hémicycle le 15 janvier.
Le
sujet a été abordé lors d’une rencontre entre Hélène Laporte et l’ambassadrice
du Maroc en France, Samira Sitaïl, le 3 février à Paris. Officiellement,
la position de Rabat est de s’en tenir à l’accord signé avec Bruxelles. « Nous
ne voulons pas que les agriculteurs marocains soient tenus pour responsables de
problèmes internes à la France ou à l’UE », indique une source
marocaine.
« Relents
protectionnistes »
Bien
que le gouvernement français n’ait émis aucun signal en faveur de sa
renégociation, l’épouvantail d’une remise à plat de l’accord est prêt à être
agité côté marocain. Où l’on fait savoir que la renégociation, si elle avait
lieu, devra porter sur tous les produits concernés. Au risque de nuire aux
intérêts des grands gagnants du libre-échange entre les deux pays : les
céréaliers français, qui ont fourni 45 % des importations de céréales au
Maroc en 2022.
C’est
dire combien les propos tenus par le plus médiatique d’entre eux, Arnaud
Rousseau, n’ont pas été du goût des professionnels marocains. Devant la
commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le
18 septembre 2024, le numéro un de la Fédération nationale des
syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) avait affirmé son « ambition
de rediscuter de l’accord » avec Rabat. Le président du conseil
d’administration d’Avril Gestion, l’actionnaire commandité du groupe Avril
(ex-Sofiprotéol), propriétaire au Maroc de Lesieur Cristal, était jusqu’à
présent considéré comme un rempart face aux coups de boutoir des agriculteurs
les plus radicaux.
Conscients
de l’extrême sensibilité du dossier, les ministres de l’agriculture des deux
pays ont relancé le comité franco-marocain de la tomate, en veille depuis 2020.
La question agricole figurera également au menu des discussions de la prochaine
réunion de haut niveau entre les deux gouvernements, qui doit se tenir au Maroc
avant l’été. Elle devrait également être évoquée ces prochains jours à
l’occasion d’une rencontre en France entre les ministres des affaires
étrangères des deux pays, Jean-Noël Barrot et Nasser Bourita. Ce dernier avait
dénoncé l’an passé les « relents protectionnistes » de
l’Europe.
La
question touche jusqu’au plus haut sommet de l’État marocain. Parmi les
nombreuses filiales de la holding Siger, qui appartient au roi Mohammed
VI, figurent les Domaines agricoles, l’un des principaux exportateurs marocains
de fruits et de légumes en Europe. La visite d’État du souverain en France,
qu’Emmanuel Macron avait annoncée pour 2025 lorsqu’il se trouvait au Maroc, est
toujours d’actualité, fait-on savoir à Rabat.